
L’Université d’Ottawa, un terrain fertile pour le bilinguisme ?
Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Article rédigé par Athéna Akylis Jetté-Ottavi — Cheffe du pupitre Arts et culture
L’Université d’Ottawa (U d’O) se présente comme étant la plus grande université bilingue français-anglais au monde. Le bilinguisme y est perçu comme étant un atout, les étudiant.e.s bilingues bénéficiant d’avantages académiques et professionnels. Le caractère bilingue de l’Université est cependant source de défis, notamment en ce qui concerne l’accès aux cours en français et la prédominance de l’anglais.
Un atout cognitif et professionnel
André Samson, professeur titulaire à la Faculté d’éducation de l’U d’O, explique que le bilinguisme est reconnu pour ses bénéfices cognitifs, tels que la flexibilité intellectuelle et la capacité d’apprentissage des langues. Sur le marché du travail, maîtriser le français et l’anglais peut être un avantage, en particulier au Canada, poursuit le professeur.
Selon Samson, l’affirmation de l’identité linguistique joue un rôle important dans la construction d’un individu. « L’un des principaux bienfaits d’étudier dans sa langue maternelle est le sentiment de fierté que cela apporte. Pour un.e jeune en milieu minoritaire, il peut être difficile de s’affirmer comme francophone, car il y a un déchirement entre l’appartenance à sa communauté et l’intégration à la majorité anglophone », explique-t-il.
Pour certains membres de la communauté étudiante, poursuivre leurs études en français dans un milieu bilingue permet justement de renforcer leur identité, tout en développant des compétences linguistiques utiles. Erik Mathieu, étudiant international originaire du Luxembourg, partage cette perspective : « Je voulais étudier dans plusieurs langues. Étudier dans une université bilingue est un atout, car cela témoigne de la capacité à s’adapter à un environnement multilingue. »
Le bilinguisme de l’U d’O motive plusieurs étudiant.e.s à choisir cette institution postsecondaire. Mathieu explique son choix d’études : « Après le lycée, je voulais étudier à l’étranger, car le Luxembourg est trop petit. J’ai envisagé plusieurs pays, comme les États-Unis et le Canada. Le Canada m’a attiré par son bilinguisme. Au lycée, je parlais déjà trois langues au quotidien, et je ne voulais pas étudier dans une université unilingue. »
Le fait de poursuivre ou non ses études postsecondaires en français peut influencer la dynamique du bilinguisme. Samson distingue deux types de bilinguisme : le bilinguisme actif, qui « signifie que l’apprentissage d’une deuxième langue se fait sans nuire à la langue maternelle », et le bilinguisme soustractif, qui « se produit lorsqu’un.e jeune, évoluant dans un environnement anglophone, perd progressivement sa maîtrise du français parce qu’il.elle ne l’utilise pas assez en dehors des cours ».
Ainsi, le choix de la langue d’études a des implications à long terme. Samson partage qu’il s’agit d’une idée reçue de penser que faire ses études en anglais est plus avantageux. Étudier en français solidifie selon le professeur l’identité, augmente la confiance et renforce la réussite scolaire et professionnelle. D’après Samson, le bilinguisme universitaire présente donc des avantages en matière d’employabilité et d’identité linguistique.
Un enjeu universitaire
L’U d’O propose des programmes dans les deux langues officielles, mais l’accès aux cours en français peut être plus limité dans certaines disciplines, affirme Mathieu. L’étudiant mentionne que l’offre de cours en français varie selon les facultés : « Mon programme universitaire est petit. Il est donc difficile de trouver des cours en français. Pour étudier en français, il faut bien planifier, car certains cours ne sont pas offerts ou le sont seulement une fois par an, ce qui n’est pas un problème en anglais. »
Samson observe une évolution dans la dynamique linguistique de l’Université. « Autrefois, c’était une université francophone qui accueillait des anglophones ; aujourd’hui, c’est davantage une université de mentalité anglo-saxonne, qui propose des programmes en français », pense-t-il.
Certain.e.s étudiant.e.s doivent ajuster leur parcours en fonction des disponibilités de cours en français, explique Mathieu. « Parfois, l’Université nous encourage à suivre des cours à l’Université Saint-Paul, ce qui montre un problème interne. J’ai une amie qui a dû suivre des cours de maîtrise à Saint-Paul pour compléter son programme d’immersion française, car il n’y avait pas assez de cours en français ici », rapporte l’étudiant.
En dépit du manque de cours offerts en français, certain.e.s étudiant.e.s doivent répondre à des critères précis pour maintenir leur statut francophone. Mathieu évoque la bourse d’éxonaration partielle des frais de scolarité pour étudiant.e.s internationaux.ales, qui exige que la majorité des cours soit suivi en français, sous peine de perdre cette bourse, ce qui crée selon Mathieu « une pression supplémentaire ».
L’accès aux services en français
Tout comme les choix de cours, l’offre de services en français sur le campus varie selon les départements selon Mathieu, qui souligne que certains services sont parfaitement bilingues, mais que d’autres sont principalement anglophones. « Il y a souvent des situations où nous devons parler en anglais avec l’administration, même quand les employé.e.s sont bilingues », note-t-il.
L’avenir du bilinguisme dans les universités dépendra des choix institutionnels et des politiques de financement selon Samson, qui rappelle que le financement des universités varie d’une province à l’autre, étant par exemple plus important au Québec qu’en Ontario. Ainsi, conclut le professeur, l’engagement des étudiant.e.s à préserver et valoriser leur langue maternelle aura une grande influence sur la survie du bilinguisme.