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Opinions

L’ordre démocratique – Was will das Volk?

5 novembre 2013

– Par Alex Jürgen Thumm –

Pour reprendre où nous nous sommes laissés, j’ai fini mon repas végétarien à la cafétéria subventionnée (ainsi que la moitié de celui de deux amies, comme d’habitude) et en partant, je remets la vaisselle et évalue le repas sur l’écran tactile à la sortie (cinq étoiles sur cinq).

La démocratie universitaire en Allemagne est très différente (très allemande) et, des fois, paradoxale. Ce n’est pas la main invisible qui décrète ce qui est délicieux ou non, c’est votre vote quotidien. Il n’y a pas de journaux étudiants imprimés qui discutent de la politique universitaire ; on a une espèce de blogue qui traite objectivement d’évènements singuliers. La fédération étudiante se donne un mandat tout autre que celui de la FÉUO (on s’en reparle dans deux semaines).

Dans les salles de classe, c’est à nous de décider. Mes profs n’ont préparé aucun plan de cours : dans l’un, c’était littéralement notre devoir d’en écrire un et puis nous, les étudiants, avons voté sur chaque bloc thématique et sur chaque lecture. (Pense-je que c’est idéal? À posteriori, non). Et il ne faut pas oublier que seulement un ou deux des seize Bundesländer allemands tolèrent encore des frais de scolarité, même pour les étrangers.

La démocratie universitaire allemande est décentralisée. En conférence avec d’autres lauréats de bourses d’études allemandes, j’ai découvert comment l’Université de Fribourg est véritablement à la fine pointe : ici, certains départements ont le luxe d’un système d’inscription de cours en ligne. Oui, la plupart du temps on doit s’inscrire comme nos arrière-grands-parents se seraient inscrits. Parfois, cela se réalise en se rendant au premier exposé magistral où on fait circuler une feuille d’inscription. Parfois, il faut envoyer un courriel : au prof, ou au département. Vous devez passer un examen? Il faut aller s’inscrire auprès d’une madame particulière. On entend bien des « parfois ».

En science politique, la plupart des cours sont des séminaires avec moins de 15 étudiants chacun, et chacun d’entre nous poursuit une forme d’accréditation différente. Ce n’est pas un système infaillible où tout cours vaut trois crédits pour tous. Les uns auront à rédiger un mémoire, les autres auront un examen oral. À la fin, le prof nous dotera d’un certificat attestant notre performance. Si la note est déplaisante, ce n’est pas difficile de « perdre » le document et de faire semblant que l’on n’y était jamais.

On ne s’échappe pas des processus arbitraires au niveau doctoral. Presque la moitié des doctorants sont hors de programmes structurés, ce qui serait la norme en Amérique. Ici, pourtant, le tout est clandestin : les arrangements sont faits uniquement entre professeur et doctorant. Une fois le mémoire achevé, le prof le lit chez lui, une autre personne le lit et si on est satisfait, vous devenez docteur.

« Collègues, collègues »

Il y a une expression pour signifier le besoin allemand de l’ordre : « Ordnung muss sein ». Celui qui souhaite l’ordre doit naturellement commencer par dresser les étrangers. Tel que moi. Donc, mon aventure d’ordre bureaucratique de la semaine a été de me présenter au « Bureau d’ordre public » pour faire de moi-même un Bürger tout légal de la ville et faire preuve que je me soumets aux règles.

En Allemagne, il y a des règles concernant tout. Je viens d’apprendre qu’il est illégal de ne pas jeter un coup d’œil sur son bilan bancaire. Si l’on ne le veut pas en format papier, mais on télécharge non plus le PDF, on le recevra tout de même par courrier.

Dans ma colocation, il y a des règles concernant tout : le placement d’épiceries dans le frigo, le ménage, l’usage de la salle de bain et j’en passe.

Néanmoins, je me sens beaucoup plus libre ici. Je suis libre de boire de la bière là où ça me plaît, libre d’étudier sans soucis financiers, échouer un cours et de ne pas attendre la douche pendant une demi-heure. En tant que « consommateur », je suis mieux protégé et mieux nourri. En tant que yogi, j’ai des vestiaires unisexes. À vélo, je roule à côté (et non entouré) de conducteurs courtois, prudents et lents.

Là où il n’y a pas d’ordre dans la circulation, pourtant, c’est à la piscine publique : pas de voies, pas d’horaire. Soit la piscine est ouverte, soit elle ne l’est pas. Tu nages là où personne d’autre n’est en train de nager. Liberté aquatique absolue dans ce bocal à poissons.

Et dans quelques jours, je ferai ce que je n’étais pas libre de faire à Ottawa : passer un week-end en Île-de-France et débourser sept dollars pour un café.

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