Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Chronique rédigée par Mireille Bukasa — Cheffe du pupitre Actualités
J’ai récemment assisté à une discussion entre deux collègues de La Rotonde sur l’objectivité. Mes collègues remettaient en question l’existence de cet idéal, tant vantée dans le monde journalistique. Impossible pour moi de rester silencieuse devant une telle affirmation… mais le temps m’a manqué pour répondre comme je l’aurais voulu. Avec cette chronique, je reprends la parole — et mes deux collègues la liront, tout comme vous.
Marie-Ève hésite : doit-elle retravailler ce chapô ou le laisser tel quel ? En tant que Secrétaire de rédaction, c’est elle qui veille à la correction de nos articles. Car oui, le journalisme est un travail d’équipe. À l’image d’un orchestre, chacun doit jouer sa partition en respectant des standards qui ne dépendent pas uniquement de sa volonté. Une approche visant à encourager les journalistes à maintenir un maximum d’objectivité dans le traitement de l’information.
Qu’est-ce donc que cette objectivité ?
Lorsque je réponds qu’il s’agit de présenter les faits sans exprimer d’opinion, mes professeur.e.s en journalisme nuancent : l’objectivité journalistique, c’est rapporter les faits de manière juste et équilibrée, sans favoriser un point de vue au détriment d’un autre. Bien que cette définition semble claire, elle porte à confusion et contribue même à la perte de confiance dont souffrent les médias aujourd’hui.
Beaucoup considèrent qu’il convient de parler de neutralité ou d’impartialité plutôt que d’objectivité. Cette notion d’impartialité, qui renvoie à celle d’équilibre, s’applique au traitement et à la présentation des faits. J’irais même jusqu’à dire que l’impartialité fait partie intégrante de l’objectivité ! Certain.e.s journalistes chevronné.e.s affirment d’ailleurs que le choix d’un sujet relève de la subjectivité. Je partage leur avis, mais seulement lorsque ce choix repose sur les préférences personnelles du journaliste.
Or, l’objectivité exige que la sélection des sujets obéisse à des critères précis. Peu importe mon intérêt personnel pour Trump et sa guerre tarifaire, si le sujet constitue un enjeu d’intérêt public, mon devoir en tant que journaliste est de l’inclure dans ma liste de sujets à traiter. Dans ce cas, mon choix ne relève pas de la subjectivité, mais d’une décision justifiable sur la base d’indicateurs clairs, qui renvoient à la notion d’objectivité.
Une mauvaise interprétation du rôle du journaliste pourrait amener à lui demander de taire toute pensée critique, le réduisant ainsi à une simple caisse de résonance. Combien de fois a-t-on entendu des journalistes être qualifié.e.s de mauvais professionnel.le.s parce qu’ils ou elles auraient, selon la perception du public, mal traité l’information ? Un éditorial récemment écrit par Camille, Rédactrice en chef de La Rotonde, lui a valu une avalanche de critiques de la part de certain.e.s lecteur.ice.s, qui jugeaient l’éditorial insuffisamment objectif. Je ne peux pas les condamner pour un tel jugement, car je suis consciente que les pratiques journalistiques ne sont pas assez vulgarisées, surtout en cette époque où les réseaux sociaux attribuent le rôle de journaliste à quiconque le souhaite.
Totalement objectif ?
Sans prétendre avoir la science infuse, il est essentiel de souligner qu’il existe deux principaux types de genres journalistiques : les genres informatifs, qui sont liés à l’objectivité, et les genres de commentaire ou d’opinion, qui relèvent de la subjectivité.
Le reportage, la brève, l’entrevue et le compte rendu exigent de la part du journaliste une grande objectivité. Lorsque l’un de ces formats informatifs est choisi pour couvrir un événement, l’ensemble de l’équipe doit s’assurer que la production reste équilibrée, sans privilégier un point de vue au détriment d’un autre. Étant donné que toute œuvre humaine porte toujours une part de conviction personnelle, un processus de « contrôle » est mis en place, impliquant plusieurs personnes qui se réfèrent à des standards permettant de garantir l’impartialité dans le traitement de l’information.
Dans ce processus, la sélection doit s’efforcer de refléter au mieux la réalité. Vous pouvez lire l’un de nos comptes rendus de l’Assemblée générale du Syndicat sur notre site pour vous en rendre compte. Cependant, respirons un peu… aucune œuvre humaine n’est parfaite ! Le but est de s’efforcer à respecter les standards.
En tant qu’observateur.ice averti.e, le.la journaliste ne peut pas faire taire ses réflexions tout au long de sa carrière. C’est à ce moment que nous pouvons remercier le ciel pour l’existence des genres d’opinion. Dans une chronique comme celle-ci, un éditorial ou une critique, les journalistes sont libres d’exprimer leur point de vue et d’apporter leurs commentaires. Donc, non : Camille ne fait pas du mauvais journalisme. En tant que rédactrice en chef, elle est amenée à rédiger un éditorial, genre d’opinion qui n’impose pas aux journalistes d’être équilibré.e.s. Et ceci ne va pas à l’encontre des principes d’objectivité.
Quel format choisir ?
Tout se décide lors des conseils de rédaction. Il existe divers formats d’articles journalistiques, mais chaque format ne convient pas à tous les sujets ou événements à couvrir. Le choix du genre journalistique est déterminant lorsqu’on veut rester objectif. Un média digne de ce nom ne choisirait jamais le format éditorial pour traiter des revendications syndicales mettant en cause l’université, par exemple. L’opinion n’a pas sa place ici, car cela risquerait de désavantager l’une des parties concernées.
Le.la journaliste a la responsabilité de contacter toutes les parties impliquées et de leur donner la parole dans un article informatif. Si l’une d’elles refuse de s’exprimer, cela doit être précisé dans le reportage. Expliquer au public le processus de collecte et de traitement de l’information est un élément essentiel pour garantir l’existence de l’objectivité journalistique. Parce que oui, je le sais et je le crois, cette objectivité journalistique est une réalité.