
L’industrie aurifère au cœur de l’U d’O : «Est-ce des liens acceptables?»
Le manque de transparence à l’U d’O a poussé deux de ses étudiants à enquêter sur les liens entre des grandes corporations et les décideurs de l’Université. En entrevue avec La Rotonde, l’un de ces étudiants, Alex Nanoff, souligne les points marquants de ces découvertes et les questions fondamentales qui en émergent. La place de l’éducation publique se trouve au centre de ces interrogations.
LR : En quoi consistent les demandes d’accès à l’information qui ont été faites?
Alex Nanoff : On a déposé des demandes pour essayer de révéler les liens qui existent entre le privé et le public. On s’est dit que l’Université est toujours une institution publique qui est majoritairement financée par le gouvernement. Quand on reçoit, année après année, des fonds d’un peu partout dans le monde et qu’il n’y a aucune entente qui existe, on finit par se demander à quoi ça revient. On parle de déficit budgétaire en ce moment, mais est-ce qu’on va vraiment accepter des fonds de n’importe qui, n’importe quand, pour combler ce déficit budgétaire? […] On voulait, objectivement, avoir accès aux documents qui révèleraient ces liens-là. Est-ce des liens acceptables ou non? Je pense que c’est forcément une question que doit se poser la population étudiante.
LR : Quels dons sont les plus marquants?
AN : Un des faits marquants, c’est le don de la Fernwood Fundation. C’est la fondation d’Ian Telfer. Il a fait des dons à l’Université, dans les trois dernières années, de deux millions de dollars par année. Il y a une année où une somme de 1,5 million a été versée dans des fonds discrétionnaires. L’année suivante, dans ces mêmes fonds discrétionnaires, la même somme aurait été versée.. Ça, c’est une des plus grosses questions. […] En termes de manque de transparence, on voit que l’Université argumente [au tribunal de la commission à l’accès à l’information] qu’il n’y a « aucun besoin pressant pour que le demandeur reçoive l’information ». Ça, c’est noir sur blanc dans une bonne partie de l’argumentaire. Si on veut parler de transparence à l’Université, pourquoi est-ce que les avocats argumentent de cette manière?
LR : Quels liens y a-t-il entre l’image de l’institution et la donation?
AN : À ce niveau, on pourrait parler de M. Telfer et de l’École de gestion qui porte son nom. À chaque fois qu’on parle de son École, il y a un sentiment de fierté associé au nom de Telfer. Une actualité largement ignorée ces derniers mois, c’est l’implication de M. Telfer dans un cas devant la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. En septembre 2013, il a reçu une amende de 200 000 $ pour son implication et complicité dans un délit d’initié avec une collègue de longue date. Ce dernier aurait encouragé un comportement frauduleux, contrairement à la Loi sur les valeurs mobilières. Ceci est révélé dans un courriel où il explique à sa collègue comment utiliser Blackberry afin d’éviter que ses messages soient interceptés par les serveurs de la compagnie, surtout lors du moment venu pour acheter des titres de transactions. Il a récemment reconnu ses torts devant la Commission, acceptant qu’il ait agi contrairement à l’intérêt public. Il a été banni d’effectuer des transactions de titres de valeurs pendant une année.
[…] En acceptant de l’argent de ces individus, pendant qu’ils sont en procès et qu’ils sont impliqués dans des affaires nébuleuses, que va-t-on montrer à nos étudiants?
LR : Maintenant que ces données sont publiques, quelle est la prochaine étape pour la communauté universitaire?
AN : Beaucoup d’efforts ont été mis en place pour apporter l’Initiative Devonshire sur le campus. Si l’on retourne au sujet du secteur minier et à la question de la responsabilité des droits humains ainsi qu’en quoi les compagnies minières sont touchées, l’Université d’Ottawa a choisi d’être hôtesse d’une initiative internationale pour améliorer ces conditions-là. [Toutefois], il y a énormément de polémiques qui existent auprès du PDG de Barrick Gold, Peter Munk, qui est très présent sur le campus de l’Université de Toronto. Barrick Gold est un acteur important auprès de l’Initiative Devonshire, tel que Goldcorp.
LR : Qu’y a-t-il d’indignant dans cette démarche?
AN : Dans de nombreux cas, on voit que les conditions sur les mines ne s’améliorent pas. Pour discuter encore de Barrick, il y a eu les cas de viols collectifs sur la mine Porgera en Papouasie Nouvelle-Guinée. Malgré sa condamnation des faits, ces viols collectifs seraient, selon Peter Munk, « une habitude culturelle ». Les victimes doivent aujourd’hui se désister de droit de poursuite ou futures actions contre Barrick si elles acceptent le processus de remède interne. La même situation se reproduit actuellement pour des victimes de violence sexuelle à la mine North Mara en Tanzanie. Selon moi, c’est ce genre de comportement qui révèle l’attitude de l’industrie. […] Moi je ne peux que révéler les chiffres [des donations]. C’est vraiment le but. Mais c’est aussi de dire qu’il y a vraiment des personnes dans le monde qui sont victimes de viol et qu’il y a des acteurs présents sur le campus qui pourraient améliorer ces conditions-là. […] Quand on sait que des fonds sont versés un peu n’importe comment dans des fonds discrétionnaires de doyens, c’est là qu’on se pose des questions, entre autres, concernant la place qu’occupe l’éducation publique en Ontario et la responsabilité du gouvernement quant aux liens entre le privé et le public. Les formules de financement nous mènent à une crise. Est-ce que certains aspects de l’université deviendraient la responsabilité du privé entièrement, ou est-ce qu’on valorise plutôt un système public?