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Arts et culture

L’identité francophone à travers nos prénoms

Contribution
27 mars 2025

Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique

Chronique rédigée par Esberthe Elisée pour le concours d’écriture 2025

Nos prénoms sont bien plus qu’une simple étiquette : ils sont le reflet de notre héritage culturel et linguistique. Pour les francophones vivant en milieu anglophone, particulièrement au Canada, cette identité prend une ampleur inattendue.

La puissance symbolique des prénoms

Lorsque l’on rencontre quelqu’un, la première chose qui vient généralement dans la conversation est le fameux « comment t’appelles-tu ? ». Dans la culture japonaise, appeler quelqu’un par son prénom est réservé aux intimes. Contrairement aux cultures occidentales où les prénoms sont habituellement choisis pour leur sonorité, ils sont choisis au Japon pour leur signification. À l’époque d’Edo, le septième jour après la naissance, une cérémonie (oshi-chiya) était même organisée pour présenter officiellement le prénom de l’enfant à tou.te.s. La signification du prénom y est toujours aujourd’hui très importante et associée à l’avenir du ou de la nouveau.elle né.e.

Le prénom confère à celui qui le porte un titre et en fait un être irremplaçable. Nos noms nous définissent, car des associations sont construites et créent ainsi des attentes sociales. Si vous rencontrez trois Paul qui sont fourbes ou hautains, vous aurez tendance à conclure que tous les Paul partagent ces traits ! Qu’on le veuille ou non, nos prénoms constituent une part essentielle de notre identité. Cela devient encore plus significatif lorsque vous portez un nom aussi francophone et unique que le mien.

Adaptation ou assimilation culturelle ?

Quand j’ai immigré au Canada, mon plus gros défi a été mon prénom, pas le froid ! Mon prénom a été constamment écorché, au point que j’ai dû adopter une variante plus facile à prononcer pour les anglophones. J’utilise parfois même un pseudonyme pour me présenter. Et bien sûr, si tu me recroises et m’appelles par ce pseudonyme, je n’aurai aucune idée que tu t’adresses à moi.

Je me suis donc dit qu’il fallait rendre mon prénom plus accessible pour les autres. Je voyais bien leur expression perplexe, confuse, et parfois contrite quand il s’agissait de répéter mon prénom. En fin de compte, je renonçais à mon identité, mon héritage et tout ce que je représente en empruntant un nom polyvalent qui pourrait se prononcer en français et en anglais. Je ne suis malheureusement pas la seule : Geneviève devient Jenny, Guillaume se transforme en Will, JB pour Jean-Baptiste, et j’en passe.

Cette technique permet aux gens de s’adapter et de s’intégrer. D’ailleurs, les sociologues ont un nom pour cette pratique : l’assimilation culturelle, qui est définie comme étant le processus par lequel les individus adoptent les coutumes, valeurs et comportements de la culture dominante, ce qui, parfois, peut conduire à l’acculturation. 

Conséquences d’un changement de prénom

Certain.e.s vont plus loin et changent complètement leur prénom pour avoir des noms à consonance « native ». Je ne les juge pas, car l’assimilation confère de véritables avantages économiques et sociaux. 

Par exemple, une étude américaine a révélé que les noms supposés « blancs » recevaient 50 % plus de rappels pour des entretiens que leurs homologues portant un nom afro-américain distinctif. Comme quoi, les noms et prénoms confèrent un certain avantage en fonction de la perception de l’interlocuteur.ice.

Quelles perspectives pour l’avenir ?

Il est légitime de s’interroger sur ce que nous pouvons espérer pour les générations futures et comment nous pouvons renverser cette tendance de l’effacement des prénoms francophones. Pour ma part, je souhaite que la future génération ait le courage de dire à leurs professeur.e.s : « Non, vous avez mal prononcé mon prénom, pouvez-vous réessayer ? » plutôt que de leur fournir une version simplifiée ou un surnom pour leur faciliter la tâche. Nos enfants devront être en mesure d’affirmer avec assurance : « Oui, c’est un nom francophone, mais faites l’effort de bien le prononcer ». Après tout, personne n’hésite à articuler « Arnold Schwarzenegger » par peur de manquer une syllabe. En comparaison, Esberthe, c’est relativement simple, non ?

Je ne suis pas certaine que nous serons en mesure de conserver cet héritage et transmettre à notre tour des noms francophones à notre descendance, sachant qu’un enfant francophone sur trois ne va pas à l’école en français en Ontario. Donc, transmettre un nom francophone sera sûrement le cadet de nos soucis si la transmission même de la langue est en danger. Mais c’est un sujet pour un autre jour… Pourrions-nous malgré tout maintenir et transmettre notre héritage francophone à nos enfants ?

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