Par Yasmine Mehdi
Fin de session oblige, les étudiants arrivent fatigués en cours, s’installent et complètent distraitement l’évaluation du cours qu’ils suivent depuis maintenant près de trois mois. Mais à quoi sert-elle exactement? Volonté de l’Université d’améliorer l’expérience étudiante? Façon pour les professeurs d’améliorer leur enseignement? Formalité administrative? À l’occasion de la fin de session, La Rotonde se penche plus en détail sur un processus bien familier de l’expérience universitaire.
UNE ÉVALUATION ASSEZ COMPLEXE
Mis en place en 1978, le processus évalue entre autres la préparation, la communication et la disponibilité des professeurs. Il sert de relais entre les étudiants, qui peuvent communiquer le niveau de satisfaction, et l’Université, en plus de donner l’occasion aux professeurs d’améliorer leur cours.
Yves Herry, vice-recteur associé au service d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage (SAEA), explique dans un courriel à La Rotonde, que les données recueillies auprès des étudiants permettent la production de plusieurs rapports, dont le rapport A, qui sert à l’évaluation du rendement individuel annuel des professeurs. Celui-ci ne compile cependant que trois des réponses aux treize questions posées.
Quant aux commentaires rédigés par les étudiants, ceux-ci sont strictement confidentiels et ne peuvent être consultés que par les professeurs. Herry commente que cette décision est le fruit d’un accord conjoint entre l’Université et des associations de professeurs.
Jennifer Deckker, présidente du l’Association des professeurs de l’Université d’Ottawa (APUO), confirme cela, et ajoute : « Les professeurs sont les meilleures personnes pour voir ces commentaires puisqu’ils sont ceux qui peuvent modifier leurs méthodes ou le contenu du cours. »
Cet avis est partagé par Robert Laganière, professeur agrégé à la Faculté de génie. Il croit qu’il ne serait pas pertinent pour ses supérieurs de lire les commentaires. Il ajoute : « On veut savoir si le véhicule fonctionne bien. […] Le doyen n’a pas besoin d’ouvrir le capot et de voir où est-ce que ça fume. »
QU’EN DISENT LES PROFESSEURS?
Les conséquences directes de mauvaises ou bonnes évaluations dépendent du statut du professeur. Herry révèle que : « dans le cas des enseignants à temps partiel, des résultats régulièrement insatisfaisants dans l’évaluation de l’enseignement peuvent […] souvent signifier le non-renouvèlement de leur contrat. »
Un professeur à la faculté des sciences sociales (FSS), qui n’a pas de poste à temps plein et qui a souhaité conserver l’anonymat, confirme que les évaluations d’enseignement sont cruciales lors du processus de concours de permanence pour les professeurs.
« Ce sont des concours désagréables parce qu’il est difficile d’exceller dans tout ce qu’on nous demande. […] On va se servir des points faibles dans un dossier pour humilier ou en demander plus à un professeur », a-t-il déploré.
Selon lui, la recherche aurait plus d’importance aux yeux de l’administration que les autres compétences évaluées. L’homme précise : « Dans la réalité, quand mes supérieurs évaluent le travail des professeurs, c’est la recherche qui compte, plus spécifiquement la recherche qui attire de l’argent externe. »
Malgré ces réserves, le professeur dit accorder beaucoup d’importance à ses évaluations et utiliser les commentaires des étudiants pour améliorer ses cours
Pour Éric Dionne, professeur agrégé de la Faculté d’éducation, c’est l’intérêt le plus fondamental de ces évaluations. D’après lui, l’introspection que provoquent celles-ci est récurrente pour la majorité des professeurs : « Je ne crois pas être un cas isolé, j’ai beaucoup de collègues qui essaient également d’améliorer leur cours à la lumière des résultats. »
Dionne ajoute que le souhait d’améliorer les cours est un résultat de l’intérêt grandissant de l’Université pour la qualité de l’expérience étudiante : « Dans la dernière quinzaine d’années, l’opinion des étudiants est devenue très importante. »
VERS UNE INFORMATISATION DE L’ÉVALUATION
Les jours des évaluations en format papier sont peut-être comptés, puisque depuis peu l’Université étudie la possibilité de les mener de façon virtuelle.
Membre du Comité du Sénat sur l’évaluation de l’enseignement depuis quelques années, Laganière voit cette modernisation d’un bon œil : « Vous savez, ça correspond à la réalité d’aujourd’hui de pouvoir faire des choses en ligne. »
La présidente de l’APUO ne voit toutefois pas ce changement comme une avancée significative. D’après Deckker, les résultats préliminaires se seraient avérés être désastreux : « Le taux de participation des évaluations en ligne est très, très bas et un étudiant peut répondre à l’évaluation sans jamais être allé au cours. »
Pour Kelsey Hoi, étudiante en science politique et administration publique, une informatisation complète du processus n’aurait pas que du bon puisqu’elle serait beaucoup moins interactive. « Je crois que c’est seulement en distribuant des copies papier au début des cours magistraux que les étudiants prendront part au questionnaire », a-t-elle commenté.
Ainsi si le futur de l’évaluation est encore incertain, une chose est claire : derrière les ronds que beaucoup d’étudiants noircissent sans trop se poser de questions se cache un processus bien plus complexe qu’on ne pourrait le penser.