– Par Ghassen Athmni –
Les évènements qui sont survenus récemment au Nouveau-Brunswick ont encore une fois dénudé le décalage criard qui se trouve entre les discours officiels, que ce soient des politiciens, des médias ou des citoyens et les pratiques. L’escalade qui a eu lieu dans les alentours de Rexton nous oblige à sortir du carcan purement universitaire et estudiantin, pour rappeler que les étudiants, la jeunesse, ne sont pas censés être indifférents à des enjeux aussi imposants que ceux qui se dégagent de la conjoncture actuelle. Pour placer le débat dans la perspective des valeurs que La Rotonde défend, il faut que nous nous attardions sur la manière dont les différents pouvoirs se sont comportés face à l’épisode qui s’est déroulé jeudi.
La dissuasion répressive
Sur le terrain, les deux acteurs principaux de ce nouveau jeudi noir, diront certains, sont la bande Elsipogtog, qui fait partie de la nation des Micmacs, et ses alliés acadiens et autres néo-brunswickois d’un côté et l’État canadien, représenté par sa Gendarmerie royale de l’autre. Indignés par l’imminence de l’emploi de la fracturation hydraulique sur les terres qu’ils revendiquent, les Micmacs et leurs alliés s’y sont, tout naturellement, farouchement opposés.
La fracturation hydraulique, méthode employée dans l’exploitation des énergies fossiles, comporte des risques avérés pour l’environnement, en particulier pour les points d’eau et la nappe phréatique. Ce ne sont donc pas uniquement les représentants d’une ethnie ou d’une idéologie en particulier qui devraient être concernés par une telle entreprise. Dans une région qui donne directement sur le golfe du Saint-Laurent, parcourue par plusieurs cours d’eau et parsemée de lacs et d’étangs, il était évident que les choses allaient se corser à partir du moment où le gouvernement provincial a enfreint la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en ne cherchant aucunement à obtenir leur consentement avant d’autoriser de tels travaux.
À contrario, Fredericton a préféré recourir à la méthode musclée pour se débarrasser du problème. Les images de tireurs d’élite mobilisés pour disperser une manifestation n’ont pas seulement choqué de par leur appartenance à un référentiel contradictoire avec les valeurs de la démocratie dont les officiels se font les chantres, mais ont aussi, encore une fois, renforcé la conviction que l’État est prêt à déployer ses moyens de coercition les plus violents pour servir les intérêts des corporations (en l’occurrence SWN Resources Canada, filiale locale du géant texan de l’industrie pétrolifère Southwestern Energy).
Les quelque 200 gendarmes envoyés au champ de bataille trainant leur lourd attirail sont officiellement au service de tous les citoyens sans distinction, à moins que tous les protestataires soient par essence considérés comme criminels, parce que le comportement des « forces de l’ordre » ne fit aucunement sentir aux manifestants qu’ils étaient autre chose que des ennemis.
Un traitement médiatique exécrable
Pour prendre le relai de la force matérielle et pour justifier ses agissements, il faut bien entendu recourir à la propagande médiatique. Les médias dominants, dans leur présumé souci d’objectivité, ont faussé le débat. En se concentrant sur ce qui malheureusement est perçu comme le croustillant de la nouvelle, c’est-à-dire la violence, les incendies de véhicule, les arrestations, ils ont omis de présenter les évènements dans leur complétude. Ils participent ainsi à maintenir le débat au superficiel et empêchent leurs lecteurs et spectateurs d’aller en profondeur.
CTV a proposé un de ces sondages dangereux où les choix variaient entre « Est-ce que la GRC n’aurait pas dû intervenir » et « Est-ce que la GRC aurait dû utiliser plus de force », bien évidemment la dernière des deux réponses a eu bien plus d’engouement de la part des internautes. Ce résultat témoigne d’abord de l’atmosphère de peur entretenue par les médias, il est fort à parier que la majorité des votants ne désirent pas voir des manifestants arrêtés, mais c’est là la conséquence de limiter le contenu journalistique à des éléments peu représentatifs de la situation totale ou bien encore des motivations des uns et des autres. En proposant ce genre de choix, la chaîne de télévision encourage la stigmatisation des voix de contestation, contribue à la banalisation de la répression et prive les citoyens de leur droit à un débat pertinent et constructif.
Cette politique s’inscrit dans une stratégie de mise devant le fait accompli. Si les faits ne sont plus analysés, mais uniquement narrés de la manière la plus dépouillée et simpliste qui soit, c’est pour leur faire épouser la condition de sentences. Ils en deviennent automatiquement des procès inamovibles et génèrent ces réactions primaires et impulsives, souvent confondues avec les opinions. Ce schéma est tristement reproduit à grande échelle par les médias à l’égard de la majorité des polémiques et débats impliquant les intérêts de ceux qui les possèdent, les membres des strates privilégiés.
Une note positive
Parce que nous ne pouvons nous permettre de clore autrement ce billet, il est à souligner que certains aspects positifs émergent de ce qui se passe au Pays de Gédaïque. Tout comme pour Idle No More, et contrairement à ce que les medias veulent faire croire, les manifestations contre la fracturation hydraulique et celles de solidarité avec les Micmacs d’Elsipogtog, attirent des individus d’origines diverses. Les Premières nations s’ouvrent aux autres groupes humains qui composent leur espace et la conscience de l’existence d’un commun à défendre et à préserver (en attendant de pouvoir penser à l’améliorer), semble croître. Les différents groupes opprimés, et parmi eux la jeunesse dont nous avions exposé les difficultés, doivent saisir que leur salut est inévitablement lié à la défense de ce commun et de son développement ainsi qu’à la construction d’une transversalité aussi bien géographique et ethnique que sectorielle ou sociale. Les évènements de cette semaine ont prouvé l’existence d’une solidarité transcanadienne, les protestations s’étant propagées d’est en ouest, à travers toutes les provinces. C’est dans cette transversalité que les innombrables luttes pourront se rejoindre, se compléter et aspirer à constituer une force.