– Par Anaïs Elboujdaïni –
C’est pour commémorer le 100e anniversaire de naissance de l’auteur français Romain Gary, né à Vilnius, que l’Institut français de Lituanie a produit et réalisé un documentaire sur l’écrivain.
Qui connait l’auteur de La Promesse de l’aube, de Les oiseaux vont mourir au Pérou ou de La vie devant soi et de Gros-Câlin (tous deux signés sous le pseudonyme d’Émile Ajar) sait qu’il était habité d’une grande angoisse de vivre, mais aussi d’une fulgurante imagination. Plusieurs experts livrent leurs commentaires sur ce grand de la littérature. En découle le portrait d’un écrivain en quête d’identité au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, à laquelle il participe comme aviateur dans l’Armée de l’air en Angleterre. Julien Roumette, maître de conférences à l’Université de Toulouse, explique que les nombreux pseudonymes que Gary utilisait pour ses romans montrent sa volonté de vivre plusieurs vies. Non pas comme un caméléon, soutient-il, car Gary offre une oeuvre constante. Il s’agirait plutôt d’un éléphant, très lucide, qui tisse une trame plurielle, à l’image de sa personnalité. Professeure à la Sorbonne, Mireille Sacotte rappelle que Gary jouait beaucoup sur l’autodérision, notamment de son physique. « On sent une espèce d’angoisse de n’être pas lui-même », souligne Mme Sacotte. Sans identité particulière, la sienne serait comme rétractée au fond de lui.
Envie de vivre, pulsions de mort
Personnage ambigu, Gary aurait bien pu être l’auteur d’un seul livre, comme le rappelle Mireille Sacotte. En effet, il s’adonnait à une écriture rapide, car en temps de guerre, son retour chaque soir était incertain. Son oeuvre sera par la suite une longue réponse à l’Histoire par l’imagination. Il oppose au « devoir de mémoire », après avoir vécu la Guerre, le « devoir d’imagination » (sans nier l’importance de l’Histoire). Pour Gary, l’écriture est une forme de combat qui se trame au-delà du témoignage. Ce désir de vivre plusieurs vies par ses multiples pseudonymes se bute à sa fin tragique.
Son suicide, pour certains critiques, ne serait pas étranger à la découverte de l’affaire Émile Ajar (Romain Gary aura gagné deux fois plutôt qu’une le prix Goncourt, grâce au personnage d’Ajar). Ce thème, celui du suicide, traverse l’oeuvre de Gary – cette volonté de sortir de soi, ce mal-être sont autant de balles plombées dans la vie haute en couleur de cet homme pluriel.
Projeté dans une version raccourcie à près d’une heure pour le public ottavien, ce documentaire est beaucoup mieux servi dans son format original, soit le web-documentaire. Ce dernier est disponible en ligne ici.