– Par Hamdi Souissi –
« Ils mourront paisiblement, ils s’éteindront doucement en ton nom, et dans l’au-delà, ils ne trouveront que la mort. » – Fedor Dostoïveski, Les Frères Karamazov
Ces paroles sont celles du Grand Inquisiteur qui avoue à un Jésus ressuscité les atrocités perpétrées en son nom. Autrement dit, le Grand Inquisiteur reconnaît être un mauvais berger qui trompe ses brebis. Pour leur bien. Pour leur bonheur.
La diffusion du sport professionnel contribue en quelque sorte à la même œuvre. Le sport professionnel est touché par le phénomène du vedettariat. Ces athlètes riches et célèbres, on ne les connaît pas vraiment après tout. Et pourtant, leurs succès ou échecs peuvent générer toute une série d’émotions, parfois extrêmes, chez l’auditoire. C’est probablement ce qui a mené à la mort du footballeur colombien Andrés Escobar assassiné quelques jours après un but marqué contre son camp en 1994. Ce n’est qu’un ballon dans un filet, mais les espoirs d’un peuple (et les paris de trafiquants de cocaïne) étaient liés au sort de ce ballon.
Ce même espoir existe ici. Les succès et insuccès du Canadien de Montréal dictent le climat social et politique du Québec. Si le CH avait participé aux séries éliminatoires en 2012, parlerions-nous de printemps érable. La déconfiture des Glorieux en 2012 fut une bénédiction pour le mouvement de réveil collectif et de contestation qui a frappé le Québec. En 2004, la Grèce était au bord de la crise sociale, mais la victoire surprise de leur équipe nationale à la coupe d’Europe de football a retardé le déclenchement de cette dernière. En 2002, la légende argentine Gabriel Batistuta voyait le succès de la sélection nationale comme un baume sur la misère sociale qui frappait son pays. Les succès de l’équipe de France en 1998 et 2000 ont calmé les tensions et inquiétudes autour des questions de l’immigration, de l’intégration et de l’insécurité autour de la réconciliation black-blanc-beur… un an plus tard Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de l’élection présidentielle. Les résultats décevants qui ont suivi en 2002 et 2004 ont peut-être réveillé les frustrations et révoltes qui se sont exprimées lors des émeutes de 2005.
Au Canada, la victoire de l’équipe de hockey aux Jeux de Vancouver et sa récupération politique ne sont pas étrangères aux initiatives conservatrices de redéfinition de l’identité canadienne. Le summum de la récupération du hockey à des fins politiques fut atteint avec l’entente signée entre les Jets de Winnipeg et les Forces armées canadiennes symbolisée par le logo militariste de l’équipe. Avec la fin du lock-out dans la LNH, célébrée par Stephen Harper en personne, il est légitime de s’interroger sur les impacts politiques et sociaux que cela pourrait occasionner. Particulièrement dans le contexte effervescent et historique généré par le mouvement Idle No More.
Trop souvent, le sport professionnel est perçu comme un simple divertissement innocent et bon enfant, totalement dépolitisé. Frédéric Kanouté avait été condamné à payer 3000 euros d’amende en 2009 pour avoir révélé un t-shirt portant l’inscription « Palestina » sous son maillot après avoir inscrit un but. Et pourtant, beaucoup de ligues professionnelles débutent leurs matches avec des hymnes nationaux et tout le débordement patriotique que cela implique. Nicolas Sarkozy avait même menacé de retirer l’équipe de France de toute compétition où la Marseillaise serait sifflée par le public. Pour le sport et ses autorités, ne pas faire de politique signifie accepter l’ordre établi et punit toute contestation de ce dernier.
Le sport professionnel a pour tâche de renforcer le discours officiel tout en censurant la subversion, et constitue en cela une nouvelle Inquisition.