Le plagiat des professeurs : Une fraude académique passée sous silence
– Par Marc-André Bonneau –
Le Centre de recours étudiant fait face à plusieurs cas de fraude scolaire venant des professeurs. Bien que l’attention soit rivée vers les étudiants qui « deviennent des criminels en oubliant leurs guillemets », les mesures disciplinaires de l’Université d’Ottawa (U d’O) se montrent inefficaces. Des cas indiquent que les sanctions de l’U d’O, rigoureuses avec les étudiants et complaisantes avec les professeurs, se montrent incohérentes.
Deux poids, deux mesures
« On cherche à punir et discipliner les étudiants alors qu’on ne donne même pas le bon exemple. Il y a beaucoup d’hypocrisie », revendique Mireille Gervais, directrice du Centre de recours étudiant. Elle explique que le Centre est confronté à plusieurs cas où les professeurs sont accusés de fraude académique par les étudiants et que ces allégations ne sont pas prises au sérieux.
« Dans un cas, l’enseignant a copié-collé son matériel de cours à partir d’internet, incluant Wikipédia. À cause de la convention collective des professeurs [qui assure la confidentialité entre l’employeur et l’employé], on n’a aucune idée des actions qui ont été entreprises par l’U d’O pour remédier à la situation. Tout ce qu’on sait, c’est que le professeur enseignait exactement le même cours à la session suivante. Ça illustre un deux poids, deux mesures », explique Mme Gervais.
Dans un cas à l’École de gestion Telfer, un prof accusé de plagiat aurait, dans un deuxième temps, accusé des étudiants de plagiat pour une présentation orale. Tim Mott, représentant des droits étudiants au Centre de recours, précise qu’« il s’agit d’un groupe de quatre étudiants qui ont fait une présentation PowerPoint et qui ont oublié de citer un tableau sur quelques acétates. Il y a avait une bibliographie à la fin. Les étudiants argumentent que c’est ce que les profs font, mais ils le font chaque jour. […] Les étudiants ont pris les notes des professeurs et c’était justement un méli-mélo de toute sorte de choses qui n’étaient évidemment pas écrites par le professeur ».
« La défense des étudiants, c’est “c’est comme ça qu’on nous apprend”. Mais l’Université sépare les deux. Le professeur, c’est une chose, mais vous autres, vous avez commis du plagiat », explique M. Mott. « Ces étudiants ont été sanctionnés en vertu du règlement sur la fraude scolaire », conclut Mme Gervais.
François Julien, doyen de l’École de gestion Telfer, explique toutefois qu’« il existe des mécanismes d’enquête et des processus pour traiter des allégations d’inconduite de la part d’un professeur, y compris les allégations de plagiat ». Ce dernier continue pour dire que « toute allégation d’inconduite de la part d’un membre du corps professoral doit être rapportée au doyen de la Faculté concernée afin que les mécanismes d’enquête se mettent en place ».
Des sanctions confidentielles
« Selon les termes de la convention collective entre les associations des professeurs et l’Université, les détails entourant l’allégation d’inconduite, les résultats des enquêtes et les décisions qui s’ensuivent doivent demeurer confidentiels », révèle le doyen de l’École de gestion Telfer.
Christian Rouillard, représentant de l’Association des professeurs de l’Université d’Ottawa (APUO), explique que le règlement de la convention collective cité peut être utilisé à cet effet. « En mon sens, la position du doyen est la bonne en fonction de la convention collective », atteste M. Rouillard. Toutefois, ce dernier juge que les sanctions pour certains cas devraient être rendues publiques, même si cela implique, à long terme, de modifier le règlement.
« L’enjeu principal, c’est la qualité de l’éducation. Ça soulève deux possibilités : comment est-ce qu’on corrige un contenu insatisfaisant, puisque les étudiants ont droit à un contenu de qualité? Et quelles sont les sanctions envers un enseignant qui n’offre pas un cours de qualité acceptable? », questionne M. Rouillard.
« La convention collective prévoit aussi un processus d’évaluation de l’amélioration des cours, lorsqu’un doyen juge que c’est nécessaire. […] Ça devient une possibilité réelle. […] Ça peut faire l’objet de sanctions, mais je comprends que du point de vue étudiant il y a des enjeux de transparence », explique le président de l’APUO.
« J’ai l’impression qu’une voie de sortie pour ça serait une discussion entre l’APUO et les associations étudiantes. Est-ce qu’on pourrait arriver entre nous à l’établissement d’un protocole qui répond au besoin de transparence, qui est légitime, des étudiants. […] Il y a moyen d’améliorer le processus », conclut M. Rouillard.
Anne-Marie Roy, présidente de la Fédération étudiante de l’U d’O, croit « qu’il y a un problème institutionnel par rapport au plagiat sur notre campus ». Personne de l’Association des étudiants diplômés n’a répondu aux demandes d’entrevue de La Rotonde.
Pour les étudiants au cycle supérieur accusés de fraude scolaire, « c’est la fin de la carrière académique », dé- clare Mme Gervais. « Alors que dans un dossier où un professeur a copié-collé des sections énormes d’une publication à l’autre sans faire référence aux publications antérieures, il n’y a eu, à ce que je puisse voir [dans un cas reçu au Centre concernant une autre Faculté], aucune enquête de la part du doyen et un refus de se prononcer sur ce qui est du plagiat évident », rajoute-t-elle.
Les punitions inefficaces, l’éducation compromise
« Selon des statistiques que j’ai obtenues suite à une demande d’accès à l’information, le nombre d’étudiants impliqués dans des cas de fraude n’est allé qu’en augmentant », précise Mme Gervais. Des données du Cabinet du vice-recteur aux études de 2007-2008 à 2011-2012 indiquent que le nombre de cas de plagiat est passé de 195 à 288.
« Je veux que l’Université arrête de créer cette atmosphère de peur. Les étudiants deviennent des criminels en oubliant leurs guillemets », déplore M. Mott. La pré- sence d’un traitement radicalement différent entre les cas de plagiat chez les professeurs et ceux chez les étudiants rend d’autant plus inappropriée l’approche paternaliste de l’Université, selon le représentant des droits étudiants.
« Voir les cas de fraude scolaire uniquement à travers les mesures disciplinaires ne règle pas le problème. Ça renforce un mécanisme de peur […] tout en donnant le message que c’est correct pour les profs de faire la même chose. Ça ne fonctionne pas », argumente la directrice du Centre de recours.
Le plagiat commis par les professeurs a une conséquence directe sur la qualité de l’éducation, rappellent les deux représentants du Centre de recours. « Quand le Centre dépose une plainte à un doyen parce qu’il y a eu un plagiat de Wikipédia dans un cours, ça ne devrait pas être qu’une question de mesures disciplinaires. La discipline ne sert pas à changer les comportements, et c’est aussi pourquoi je suis tellement contre un code de conduite. Mais un doyen véritablement intéressé par l’éducation des étudiants aurait pu enquêter la chose d’une autre perspective », manifeste Mme Gervais. M. Mott ajoute que « ça touche l’intégrité de l’institution et l’intégrité de ce qu’elle enseigne ».