Par le Comité éditorial
Il n’était même pas 10 h, samedi dernier, et l’alcool ruisselait déjà dans les rues de la Côte de sable. Les fêtards, fièrement vêtus de gris et de grenat, défilaient et se pavanaient en petites foules. Échanges conviviaux et hourras festifs résonnaient d’une rue à l’autre. Mais qu’est-ce qui était au cœur de toutes ces célébrations?
Si vous avez répondu le match Panda, où s’affrontent l’Université d’Ottawa (U d’O) et Carleton sur le terrain de football, vous n’avez certainement pas tort. Toutefois, est-ce vraiment le match ou la célébration elle-même qui est en premier plan?
Une rivalité mise en scène
Dès ses origines, le Match Panda n’était pas la manifestation d’une rivalité sportive de longue date. Plutôt, l’évènement cherchait à édifier une rivalité entre les deux universités d’Ottawa.
Les rivalités sportives sont souvent des manifestations de conflits plus profonds. Par exemple, prenons les anciens Nordiques de Québec et les Canadiens de Montréal. Alors que les Nordiques de Marcel Aubut se sont alliés au nationalisme naissant de Lévesque, les Canadiens de Serge Savard appuyaient ouvertement le fédéralisme de Trudeau. Le choix était politique et les couleurs de chandails étaient symboliques.
À l’époque des premières éditions du Match Panda, Carleton et l’U d’O avaient tout ce qu’il fallait pour entrer dans cette tradition. L’U d’O, alors une université pontificale majoritairement francophone et administrée par des Oblats, était reconnue pour ses penchants élitistes. En revanche Carleton, en plus d’être une université anglophone à tendances populistes, était la première université non confessionnelle en Ontario. Les différences étaient palpables.
Toutefois, la situation moderne est tout le contraire. La concurrence entre les universités est une mise en scène; c’est un jeu que l’on joue pour se faire plaisir. On mémorise des chants et on encourage notre équipe, mais l’institution que l’on fréquente ne joue qu’un rôle minimal dans notre sentiment identitaire.
Fêtes civiques et grands évènements de divertissement
Les fêtes civiques, nées de la philosophie des Lumières, devaient rassembler tous les peuples en hommage au Culte de la raison. L’hédonisme carnavalesque ne tarda cependant pas à s’emparer des premières Fêtes de la Raison, où le vin coulait à joyeux flots et où les jolies jeunes femmes étaient nommées déesses.
D’innombrables manifestations de divertissement destinées au grand public, qui font figure de fêtes civiques de nos jours, ont hérité de cette transformation. On peut penser à la Fête du Canada, à l’Halloween ou au Jour de l’an, par exemple. Le Match Panda n’y fait pas exception.
Dans le temple laïque qu’est la Place TD, les exploits athlétiques sont secondaires à l’atmosphère festive. Certes, on garde le compte du score, mais les amis, l’intoxication et la parade des styles et des corps priment sur l’appréciation technique du jeu. Même la victoire importe peu : que l’on gagne ou que l’on perde, la fête continuera. Le football est ainsi devenu un prétexte pour s’adonner à des activités habituellement mal perçues, comme boire dans la matinée ou s’époumoner en entonnant des chants de ralliement insultants.
Comme source de divertissement, d’amusement et d’épanouissement sexuel et émotionnel de la communauté estudiantine, le Match Panda diffère peu des festivals musicaux. Ce sont des spectacles, des occasions événementielles qui suspendent les normes quotidiennes où l’on se lance dans l’intoxication, la fête et la sexualité.
Si ça vous amuse, faites la fête
Loin de nous la volonté de prendre un ton moralisateur. Au contraire, l’hédonisme des fêtes civiques trouve sa place dans une société hyper-bureaucratisée. Toutefois, il semble exister un mot d’ordre diffusé à grande échelle : on doit faire acte de présence à ces évènements. C’est comme ça, dit-on, qu’on vivrait « l’expérience uOttawa ». C’est l’aspect fun de la vie universitaire, l’exutoire nécessaire au déplaisir de l’expérience étudiante. C’est l’affirmation quasi patriotique de l’esprit universitaire.
Mais lorsqu’on déconstruit l’évènement, ces arguments perdent leur charme. En fin de compte, le Panda, c’est une occasion de flirter, de se péter la face et de (dé)gueuler. Rien de plus, rien de moins.