– Par Sadie Lapshinoff –
J’ai grandi en croyant que j’étais spéciale et unique, comme un flocon de neige. J’ai cru qu’un jour j’aurai la capacité de transformer le monde. À travers mes études, j’ai réalisé que les injustices qui existent dans le monde sont nombreuses et complexes. Présentement, je suis remplie d’angoisse par la réalisation que je n’ai pas la capacité de tout corriger ces inégalités, et surtout par le fait que je profite de celles-ci en raison de ma position socioéconomique. Que faire? Je pourrais dire que je suis victime de ma position de privilège, que le remords que je ressens est injustifié parce que ce n’est pas ma faute. Je pourrais m’exprimer sur le fait que je n’ai pas choisi la vie qui m’a été donnée, donc ce n’est pas à moi de combattre les inégalités sociales. Je pourrais même dire que dans la vie, certains sont plus privilégiés que d’autres, mais que cela s’inscrit dans la nature des choses. Je pourrais demeurer aveugle aux injustices afin de ne pas être figée par la culpabilité. Non, je refuse ces options.
La culpabilité que je ressens sera ma motivation pour apprendre et grandir comme individu. Je vais reconnaitre les hiérarchies sociales ainsi que mon rôle dans leur perpétuation. Au lieu de rester passive et bénéficier des avantages qui me sont accordés par le statu quo, je vais me fâcher et agir afin de changer les normes sociales qui soutiennent les injustices. Je vais me pencher sur les inégalités sociales en déclenchant des discussions entre personnes privilégiées, dans lesquels j’invoquerai le fait que ce ne sont pas tous les individus qui peuvent demeurer aveugles aux questions d’ethnicité, de classe et de sexe. Je vais cesser de m’insérer dans des débats dans lesquels ma participation force ceux qui sont désavantagés par le système actuel à demeurer silencieux. Je vais admettre que leurs histoires méritent d’être partagées, car elles sont de valeur égale (ou supérieure) à la mienne. Je réalise que toute seule, je suis incapable de transformer le monde, mais, si je suis honnête, je dois admettre que je suis le sauveur de personne. Je ne suis pas en mesure de me décharger complètement des avantages que je retire en vivant dans, ce que l’auteure féministe Bell Hooks nomme, le patriarcat capitaliste de la suprématie blanche.
En tant que personne privilégiée, je n’ai pas besoin de réparer tous les torts du passé. Cela serait comme tenter d’éteindre un feu avec de l’essence. Ce que je dois faire c’est reconnaître les torts qui ont été commis, ainsi que les effets persistants de ceux-ci, qui défavorisent certains individus aujourd’hui. Dans cette perspective, je dois me retirer du centre et me positionner sur la marge afin de créer de l’espace pour la résistance. Pour rééquilibrer une société injuste, ceux qui détiennent le pouvoir doivent en céder à ceux qui en ont moins. Ceci est un appel aux personnes privilégiées. Renoncer son pouvoir n’est pas un signe de faiblesse, plutôt, c’est un acte politique qui fait preuve de courage et de solidarité.