– Par Raph Koukamboulou-Yoyo –
« Allez donc me chercher ce Little Feet! », avait ordonné le maire à Herr Poissin, le chef de la police de Steindorf, un village où l’on appelait tous les hommes par Herr – une marque de politesse d’usage. Arbus Pépelin en sa qualité de maire appliquait les lois avec rigueur. On racontait sur tout Steindorf qu’un orphelin haut comme trois pommes du nom de Little Feet avait été recueilli par Herr Gruber. Le vieil homme s’était fait passé durant des années pour le grand-père de l’orphelin sans famille. L’administratif Herr Gaston Papierdur qui s’était aperçu de la supercherie lors du recensement du village, en avait aussitôt averti le maire. La nouvelle s’était répandue dans tout Steindorf, comme un vent marin. Un affront aux yeux de la loi! C’était indigné Monsieur le maire. Arbus Pépelin était formel, la loi est la loi, tant qu’il règnerait sur Steindorf en tant que maire, la seule place d’un orphelin se trouverait à l’orphelinat. Le petit Little serait donc amené de gré ou de force dans un orphelinat de la région.
Herr Pinsec, le journaliste de Steindorf, en bon chasseur d’histoire, s’était délecté de l’information qui apparue dès le lendemain en gros titre sur le journal du village.
« SCANDAL SUR STEINDORF! LE PETIT LITTLE FEET MENACE D’ORPHELINAT
ÉVÉNEMENTS LOCAUX
La nouvelle a éclaté hier au bureau de la mairie…
P. 10 »
Les policiers circulaient dans tout le village à la recherche de l’orphelin. Cet après-midi-là avait marqué les habitants de Steindorf, il s’était passé quelque chose de particulièrement extraordinaire, une histoire d’entraide et d’amitié, une leçon de vie. Les hommes et les femmes du village dans un élan de solidarité s’étaient mobilisés pour protéger le petit Little. Madame Iliade, la directrice du collège Léopold, avait ordonné de fermer les portes de l’école ; les enseignants et les élèves bloqués à l’intérieur empêchaient les hommes d’Herr Poissin d’entrer dans le collège. Les habitants descendaient dans les rues et brandissaient des pancartes pour militer contre le maire.
Tout le village avait été touché par la détresse d’Herr Gruber qui par la décision d’Arbus Pépelin allait perdre la garde de Little.
-Ils nous volent nos enfants! avait crié un manifestant.
-Ils les envoient à l’orphelinat! hurlait un autre.
Sur les pancartes étaient marqué en gros : « NON À L’ORPHELINAT », « PROTEGEONS LITTLE », une autre indiquait « PEPELIN AU CACHOT! ». L’affaire avait pris une tournure invraisemblable. Herr Poissin et une partie de ses policiers étaient bloqués sur la rue pavée. Les habitants leur faisaient barrage et les empêchaient d’avancer. Lorsque le reste des hommes d’Herr Poissin entrèrent dans le collège Léopold, ils furent surpris de ne pas y trouver Little Feet.
Effectivement, loin de l’agitation, à l’abri des regards, des coups raisonnèrent à la porte d’entrée de Mademoiselle Margareten, la propriétaire du très célèbre café Margareten situé rue Kaffe street.
Lorsque Mademoiselle Margareten alla ouvrir, elle trouva le vieux Gruber et Little Feet sur le pas de la porte
-Vite! Entrez! pressa-t-elle.
Ils s’installèrent confortablement sur le fauteuil et elle leur servit un thé bien chaud.
Le regard de Little se promena dans le salon extrêmement bien rangé, qui sentait bon la lavande ; on y entendait ruisseler les marmites de la cuisine. La volaille fermière et sa peau joliment croustillante mijotait gentiment. Mis à part le ruissellement des marmites un silence pesant régnait dans la pièce. La voix de Margareten rompit ce silence.
-Tu es un enfant très spécial, Little Feet.
Le regard de Mademoiselle Margareten exprimait une étrange lueur, elle détenait un secret qu’elle s’apprêtait à révéler au petit Little. Little Feet n’avait aucune idée de ce qui le rendait si spécial. En voyant l’air grave d’Albin Gruber, Little comprit que le marin était lui aussi dans la confidence.
-Certaines circonstances étranges, continua Margareten, ont entouré le jour où Albin t’a trouvé devant sa porte.
Albin raconta à Little les évènements du soir d’été où il l’avait trouvé encore bébé, abandonné devant l’entrée de sa cabane. Il lui raconta de nombreux faits étranges qui s’étaient passés ces dernières années, il lui raconta comment ce que la pluie d’été s’était changée en neige en touchant le sol lorsqu’il était petit, il lui raconta comment ce que chaque année, à chacun de ses anniversaires une étoile disparaissait dans le ciel. Little Feet ébahi, regardait tour à tour Mademoiselle Margareten et Herr Gruber, il ne savait quoi répondre, à vrai dire il n’y comprenait rien, il avait bien pensé à une plaisanterie mais Herr Gruber n’avait pas le sens de l’humour – et avec le maire qui s’était mis en tête de l’envoyer à l’orphelinat, faire des plaisanteries était le dernier des soucis de Margareten et Gruber.
-Comment ce que je peux être spécial? rétorqua Little, je suis si petit que personne ne me remarque! Au collège on m’appelle gringalet.
En effet Little Feet était le plus petit de sa classe, ce qui lui avait valu de nombreux surnoms comme gringalet, minus, ridiculus, mini Feet. En classe de sport, personne ne voulait de lui dans son équipe tant il était frêle. Margareten lui dit alors une phrase qu’il ne comprit pas de suite.
-Les plus petites choses en ce monde engendrent parfois de grands espoirs.
Little dans le doute où il était, n’avait alors aucune idée d’où tout cela le mènerait ; peu de temps après, la porte de derrière, donnant accès au garage, s’ouvrit.
-Je te présente Artus et Prospin lui dit Margareten.
Little feet vit avec stupeur les deux nouveaux venus s’installer dans le salon. Du haut de ses dix ans, Little n’avait jamais vu de toute sa vie des personnes aussi petites.
-Des Nains de Burbec, dit Margareten qui invita Little à se lever pour lui présenter les deux hommes pouces.
-Nous t’expliquerons en chemin, dit Prospin en levant la tête pour regarder Little d’une plus grande taille, suis-nous! Les hommes d’Arbus Pépelin ne sont pas loin.
Herr Gruber serra Little dans ses bras, et laissa couler une larme comme si il ne le reverrait plus. Trois coups raisonnèrent à la porte d’entrée.
-Ouvrez! Ordre du maire!
Margareten accueillit deux policiers fort gaillards. « Madame » saluèrent les deux gentilshommes.
Ils inspectèrent les lieux mais ne virent pas Little Feet.
Sur la rue qui passait derrière la maison de Margareten, Little à bord d’une moto, était cramponné aux deux hommes pouces, c’était une Harley Davidson. Lorsque Prospin démarra la Harley, un vrombissement de liberté s’échappa de la moto. Little quittait Steindorf pour son fabuleux voyage.