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Par Clémence Roy-Darisse – Journaliste
Un sondage réalisé fin mars 2020 par le Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO) révèle que 28 % des répondant.e.s ont changé leurs habitudes de cyber-achat depuis le début de la pandémie de coronavirus. Cette proportion pourrait même s’élever jusqu’à 60% si la crise continue. Depuis le 1er mars, 10 % des restaurants du pays ont fermé leurs portes de façon définitive, et ce nombre risque d’augmenter de façon importante cet automne. La crise de la COVID-19 chamboule particulièrement les PME (petite ou moyenne entreprise), et nous pousse à revoir nos modes de consommation. Portrait sur la question avec Gilles LeVasseur, professeur à l’école de gestion Telfer, Coralie Gonsalves, propriétaire d’une crêperie et Laura Meguerditchian, graphiste à temps plein dans une agence web et adepte d’achats en ligne.
Fermeture et impacts immédiats
LeVasseur raconte que les secteurs les plus touchés par la crise sont ceux des services et du divertissement, et notamment les restaurants, bars, théâtres, cinémas et autres établissements qui fonctionnaient en présentiel. C’est pourquoi « ceux qui n’ont pas été capables de faire la transition vers les systèmes numériques n’ont pas été capables de continuer leur processus », souligne-il.
Le taux d’emploi a également drastiquement chuté, pour atteindre 52% en mai et la fermeture obligatoire de nombreuses entreprises a entraîné des pertes de revenus significatives. LeVasseur affirme que les entreprises touchées pourront mettre jusqu’à deux ou trois ans pour s’en remettre et qu’« un quart des restaurants va fermer d’ici Noël. »
Si dans un tel contexte, les PME sont davantage touchées, les multinationales enregistrent elles aussi des pertes de revenus très importantes. C’est par exemple le cas de Disney, qui affiche un manque à gagner d’1,4 milliard de dollars.
Cependant, les banques continuent de financer ces multinationales, afin de leur permettre de rester en fonction et pour, à long terme, « être capable de se faire rembourser [leur] dette », explique LeVasseur. Mais ce n’est pas le cas pour les PME, qui « n’ont pas liquidité pour faire face à ces pertes. » Ainsi, de nombreux.ses propriétaires se retrouvent forcé.e.s à injecter des fonds personnels.
Depuis maintenant deux ans, Gonsalves est propriétaire et directrice de la crêperie Beurre Salé située à Gatineau. Lorsqu’elle a pris connaissance de la situation critique de la pandémie, elle a rapidement pensé à fermer son restaurant et ce avant la fermeture obligatoire.
Cette décision n’a néanmoins pas été facile : « la fermeture vient avec du stress, mettre des employés au chômage et sans entrée d’argent ; [il y avait] beaucoup de questionnement sur l’avenir de l’entreprise et le nôtre », confie-t-elle.
Une réouverture difficile
Si les restaurants sont ouverts depuis le 15 juin au Québec et le 12 juin en Ontario, les réouvertures entraînent toutefois des complications. Les employé.e.s doivent porter une double protection pour travailler et le masque est obligatoire pour les déplacements dans les lieux publics intérieurs.
Réengager et garder ses employé.e.s n’est pas toujours facile : plusieurs ancien.ne.s employé.e.s souhaitent désormais rester sur la prestation canadienne d’urgence (PCU), ou refusent encore de porter la double protection.
Gonsalves n’a toutefois pas eu ce problème, l’intégralité de son personnel ayant décidé de revenir au travail. Elle n’a néanmoins pas souhaité en engager de nouveaux.elles employé.e.s, ne sachant pas si les clients allaient être au rendez-vous. Pour pallier à cela, la restauratrice a également dû s’adapter, passant d’une ouverte de sept jours par semaine à seulement cinq jours.
Elle avoue aussi que, comme plusieurs autres entreprises, les mesures de distanciation sociale ont des impacts à court et long terme sur ses revenus.
Bien que l’Association Restauration Québec estime que la rentabilité passe par des salles à manger occupées à 75 % de leur capacité, les restaurateur.rice.s sont souvent obligé.e.s d’accueillir beaucoup moins de client.e.s, afin de favoriser la distanciation sociale.
Gonsalves occupe par exemple 50% de la capacité de sa crêperie à l’intérieur, et à 100% à l’extérieur. « Nous avons la chance d’avoir une grande terrasse, nous avons pu espacer les tables à deux mètres environ », souligne-elle.
Si pour cet été l’impact semble minime, la situation pourrait être toute autre cet hiver, où le taux d’occupation pourrait rester à 50% à l’intérieur.
Une règle d’or à respecter
Concernant le port du couvre-visage obligatoire, Gonsalves affirme ne pas servir les client.e.s qui ne respectent pas cela. Elle ajoute néanmoins ne pas avoir eu « d’altercation avec un.e client.e » pour le moment.
LeVasseur rapporte que les pertes de revenus qui découlent du refus de servir les récalcitrant.e.s sont plus faibles que les amendes attribuées en cas de non-respect de la règle. « Si vous avez un dossier avec des gens qui ont contaminé votre restaurant, vous êtes mort.e.s, c’est fini », déclare-il.
Gonsalves souligne cependant que le couvre-visage devient embêtant pour les employé.e.s, particulièrement « lors des grandes chaleurs et des longues durées. » Son utilisation ajoute aussi « un coût financier à l’entreprise. »
Du côté des consommateurs
L’engouement pour l’achat en ligne et l’achat local semble être une des tendances résultant de la pandémie.
Meguerditchian partage qu’elle passe beaucoup plus de temps en ligne depuis le début de la pandémie, où elle fait son épicerie et achète des vêtements et du maquillage sur Amazon.
« Je n’aime pas l’ambiance dans les supermarchés et les centres d’achats. Je trouve l’environnement stressant et bien que je respecte le port du masque, ce n’est pas très agréable », appuie-elle.
Elle préfère faire ses achats « dans le confort de sa maison », ajoutant qu’il est plus facile de comparer les prix et les alternatives et qu’elle aime la flexibilité de l’horaire des achats en ligne.
Elle avoue aussi dépenser davantage depuis la pandémie, « peut-être par ennui ou encore peut-être pour combler un manque », confie celle qui n’est pas la seule suivant cette tendance.
Mesures d’aide gouvernementale nécessaires
À long terme, LeVasseur ne croit pas en l’avenir du télétravail, les employé.e.s ayant besoin du contact humain.
Malgré tout, de nombreuses entreprises fermeront leurs portes, et ce, malgré l’aide financière. Si elles étaient vouées à fermer selon LeVasseur, cette pandémie n’a fait que rapprocher « le délai de la fin de l’exploitation de l’entreprise. »
Plusieurs mesures gouvernementales sont demandées de la part des restaurateur.rice.s, notamment l’aide directe gouvernementale et la subvention salariale d’urgence. Ces dernier.ère.s souhaitent que ces montants soient alloués sur un plus long terme.
La propriétaire de Beurre Salé a de son côté bénéficié d’un prêt de $40000 à 0%, ainsi que de l’aide au loyer commercial. Elle espère aussi obtenir l’aide salariale d’urgence.
« Le gouvernement doit nous aider tout au long de l’obligation du deux mètres de distance sociale dans nos établissements. Cette chute de notre capacité d’accueil va être difficile financièrement. surtout en hiver. […] Les restaurateurs vivent au jour le jour », résume-t-elle.
D’autres mesures sont réclamées par l’association des restaurateurs, notamment celle d’augmenter à 100 % le crédit d’impôt sur les pourboires déclarés, ou encore de suspendre la perception de la TVH (taxe de vente harmonisée) et de la TVQ (taxe de vente du Québec) sur les ventes dans les restaurants pour les six prochains mois.
Gonsalves ajoute qu’une baisse des taxes commerciales municipales adressées aux restaurateur.rice.s et aux propriétaires serait appréciée. « On nous demande de diminuer notre capacité d’accueil, mais les coups d’opérations restent les mêmes », formule-t-elle.
Heureusement pour eux, les client.e.s sont au rendez-vous et la clientèle se presse parfois dans les restaurants.