Crédit visuel : Andrey Carmo
Par Clémence Roy-Darisse – Cheffe de la section Arts et culture
Je regarde mon amie dans le blanc des yeux, elle fait de même. « Tu veux parler de quoi ? », que je lui dis. « De santé mentale », qu’elle me répond. Quelques heures plus tard, le plan d’action est sur la table ; on va écrire et produire un show pour tenter de faire tomber les stigmas. Le lendemain, on reçoit un autre courriel du recteur, dans nos coeurs on a l’impression que ça n’arrêtera pas.
Rien ne sert de vous avouer que les derniers jours ont un arrière goût d’apocalypse. Dans ces temps de confinement, où de multiples spectacles sont annulés, l’art est-il nécessaire ?
Comme dit Marc Cassivi : « l’art n’est peut-être pas nécessaire en particulier, mais en général, oui ». Comment imaginer ces prochaines semaines, où rester chez soi deviendra sûrement la norme ; sans consommer de l’art ? Les films, les livres, la musique, se succéderont. L’art habite le quotidien, mais lorsque la panique générale cède ; il l’inonde.
Avoir un poids politique
« Comment on parle de santé mentale ? Par quoi on commence ? », me dit mon amie. Nous sommes toutes deux perplexes face au pouvoir que peut avoir notre production. L’art, certes, ne change pas de politiques, ne solutionne pas. L’art reconstruit seulement, se fait miroir, il est témoin de, parle au nom de, questionne. En temps de crise, avons-nous besoin de questions ?
« On pourrait parler de notre expérience », que je lui dis. J’ai toujours peur de paraître égocentrique et narcissique quand je décide de « parler de mon expérience ». Mon amie me ramène vite à l’ordre ; elle me rappelle que cela pourrait, en effet, contribuer à diminuer le sentiment de solitude, le stigma associé à un diagnostic.
« Ding », mon téléphone vibre. Des humoristes décident de s’unir pour donner un spectacle web, intitulé Le coronavirus show, suite à l’annulation de leurs spectacles vendredi.
En temps de crise, l’anxiété généralisée semble se propager de façon virale. Face aux peurs quotidiennes, un sketch comique ou une chanson peuvent peut-être nous rappeler que nous ne sommes pas seul.e.s.
Partager le refrain
Est-ce le contenu, le fond de la production artistique qui importe, ou tout simplement l’acte de partager son produit artistique ?
« Ding ». Une autre notification, je vois que la population italienne s’unit pour chanter. Confiné.e.s en quarantaine, ils ouvrent leurs fenêtres et agencent leurs voix à l’unisson.
« Ding ». Désoeuvré.e.s par l’annulation de leur spectacle de fin d’année et motivé.e.s par l’actrice de Broadway Laura Benanti qui a lancé l’opération sur Twitter, des centaines d’étudiant.e.s américain.e.s se filment entrain de chanter un extrait de comédie musicale en y collant le hashtag « sunshinesongs ».
L’art ce n’est pas qu’une affaire d’artiste. Chanter, danser, raconter des blagues ; le gouvernement ne pourra jamais limiter de telles pratiques. Bien que les spectacles s’annulent tels des dominos, les gens, eux, désirent se retrouver plus que tout pour donner un sens à ce monde.
Embrasser la fragilité
Selon le sociologue Roland Barthes, les trois vertus de l’artiste sont la vigilance, la sagesse et surtout, la fragilité.
Être fragile alors que tout va mal ? Sérieusement ? Oui, parce que la fragilité accueille le changement et s’éloigne des certitudes, des dogmes. La fragilité libère car elle accepte ce qui vient. Elle ne lutte pas.
En ces temps de crise, où prendre l’avion n’est plus possible, on peut se donner l’opportunité de voyager en soi, de se terrer un espace pour réfléchir, hors du rationnel.
Pour en finir avec les statistiques
« Oui, tu as raison, je devrais parler de mon expérience, avec des mots qui sortent des statistiques », que je réponds. Parce qu’au- delà de l’information bombardée, pour comprendre concrètement il faut voir à travers les yeux d’un autre.
Radio Canada recense que les ventes de La peste d’Albert Camus et du film Contagion sont en hausse majeure depuis les dernières semaines. Les histoires, les humain.e.s, le récit des vivant.e.s, surpassent largement les graphiques lorsqu’il est question de faire la paix avec la crise.
Que ce soit en santé mentale ou pendant le coronavirus, l’art apparaît comme un souffle de vie, n’ayons pas peur de le propager.