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Opinions

L’Allemagne d’autrefois e(s)t l’Allemagne d’aujourd’hui

10 février 2014

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– Par Alex Jürgen Thumm –

La fin de semaine passée, j’ai séjourné pour la première fois en Suisse, à Zurich. La Suisse a vite renversé mes stéréotypes. J’avais toujours tenu les Suisses pour des gens froids, en ayant rencontré quelques-uns à l’étranger. Froids, comme si la neutralité politique déteignait sur les citoyens. La façade nationale, tout en béton et en montres , est sans aucun doute intimidante. Cependant, maintenant que j’y ai été (les gens qu’on croise à l’étranger n’étant jamais représentatifs des gens qui sont restés chez eux), je connais une Suisse diverse, tranquille et… parfaite. On dit que voilà justement le but du projet européen et du modèle Erasmus : voyager et cesser d’haïr les voisins.

Sans gagner de gages en devise locale, découvrir le pays fait mal en raison des prix exorbitants (13 $ pour une assiette de falafel?). Malgré cette famine imposée, j’y ai trouvé une certaine paix et une beauté qui m’ont plu. Leur politique et les sources de leur prospérité… eh bien, plus facile de se fermer les yeux, non?

Un prof de ma copine à Strasbourg a mentionné le semestre dernier que les exposés magistraux en Allemagne débutent toujours 15 minutes en retard. « Ça se peux-tu? », se demandait Emily. En effet, habituellement l’Allemagne est renommée pour sa ponctualité qui, comme chacun le sait, est un pilier de l’ordre et du vivre ensemble.

Il y a certains trucs qu’il faut juste savoir dans un pays étranger. En effet, un cours ou un évènement universitaire annoncé pour 10 h débute d’habitude à 10 h 15. Ça s’appelle « c.t. » (cun tempore), ce qui s’oppose à « s.t. » (sin tempore), le phénomène d’un évènement commençant à l’heure où on dit qu’il commence.

Sans tenir compte de cette déviance de la norme, les Allemands sont un peuple ponctuel, ce que j’adore. Ça me paraissait bizarre chaque fois que j’arrivais à un party à Ottawa une demi-heure en retard, d’être quand même le premier arrivé. Ici, on n’a pas à faire des calculs pour éviter de paraître trop ardu . C’est tellement plus facile comme ça : dans ce domaine et dans tous les autres, on dit ce qu’on veut vraiment dire. Tu n’aimes pas ton camarade de classe? Tu l’ignores.

Mais pas tous les stéréotypes ne tiennent la route, bien entendu. Oui, il y a des règles pour tout et on peut acheter des saucisses partout, mais les Allemands sont moins obèses que les Canadiens et je trouve que c’est bien plus facile d’être végétarien ici qu’au Canada. Et puis, la plupart des Allemands et des Allemandes ne parlent pas une langue brusque, mais plutôt très douce. Enfin, ce pays ressemble beaucoup plus au Canada qu’on pourrait le croire.

Malgré les efforts de l’Europe pour standardiser le système universitaire (par exemple, avec un système de crédits universel), chaque pays tient à sa tradition. Le Royaume-Uni et la France maintiennent leur élitisme institutionnel, par exemple. L’Allemagne maintient une certaine égalité entre les universités et, tout comme la France, elle garde une certaine tradition orale en se servant de présentations et des examens oraux pour évaluer les étudiants.

L’Allemagne a toujours été un pays de contrastes extrêmes. Un grand nombre de progressistes sont chez eux ici; on vient de proposer notamment une semaine de travail de 32 heures pour les parents. Mais aucune semaine d’actualités allemandes ne serait complète sans qu’on entende parler d’actes néonazis. On calcule qu’il y a environ 25 000 extrémistes de droite, dont 9500 néonazis, soit des extrémistes violents. Toutefois, leur influence et leur puissance excèdent leurs chiffres.

Chaque année, il y a des manifs néonazies ainsi que des manifs antinéonazies. Chaque année, le NPD, leur parti politique, échappe à l’interdiction définitive. En 2012, quand je travaillais à Hanovre, Besseres Hannover devenait connu pour son « Abschiebär », l’ours de déportation, une mascotte qui menaçait de vrais immigrants de déportation. Depuis la réunification allemande en 1990, 152 personnes sont mortes de violence extrémiste.

Il y a deux mois, j’ai assisté à la présentation d’une chercheuse de genre et extrême droite, Esther Lehnert (c’est un champ de recherche en soi en Allemagne), sur les masculinités dans les mouvements d’extrême droite, leur rhétorique de subordination féminine et la présence d’homosexuels dans le mouvement qui kiffent la masculinité extrémiste. J’ai appris des informations sur l’ancienne Heimattreue Deutsche Jugend, une espèce de scoutisme pour familles d’extrême droite née en 1990 et interdite en 2009. Le groupe patriotique organisait des camps d’été pour apprendre aux garçons comment être masculin (le combat, la chasse, etc.) et aux filles comme être une fille (le ménage, la cuisine, l’obéissance, etc.). Toute une culture d’extrême droite perdure ici, surtout en ligne, dit Lehnert : des recettes d’extrême droite, des fêtes et tout le kit.

Autant il y a une culture d’extrême droite, autant il y a une culture anti-extrême droite, formée de gens pas mal braves et altruistes souhaitant débarrasser leur pays de la haine. Surtout présente sur les campus, elle est peut-être l’incarnation allemande de nos mouvements de solidarité tels qu’Idle No More (qui est d’ailleurs actif et connu en Allemagne).

Ça serait absurde de dire que l’Allemagne n’est pas le pays moderne qu’on le croit être. Les Allemands adorent leurs vélos et haïssent leurs centrales nucléaires. Ils ne craignent même pas les coalitions au Bundestag. Mais l’histoire ne se laisse pas effacer. En effet, Mein Kampf demeure interdit et ma coloc était stupéfaite en apprenant que ma copine est Juive, encore bouche-bée une semaine après. Alors que les gens sont toujours très sensibles aux blagues ou aux emprunts de termes concernant la Guerre, l’Union européenne, cependanttémoigne d’un antisémitisme grandissant. À Zurich, entre de jeunes Suisses souls, on parlait du rôle de la Suisse durant la Guerre et les vieillards dans la ville natale de mon père continuent de me raconter leur enfance de guerre en souabe chaque fois que je visite.

Ils changent, mais ils s’en souviennent.

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