Inscrire un terme

Retour

La chute de Montréal

23 janvier 2017

Labyrinthes

Par Frédérique Champagne

Fire! Fire!

Tout s’embrase

Dans le silence mort

Des fleurs de lys qui tombent

Une à une

Dans l’ombre

Des mirages en larmes

Une colombe s’envole

Dans l’aube en flammes

Speak english! Speak english

Au bout des baïonnettes

Qui fument encore

Dans mon ciel de glace

Le Temps tourne

Un fleurdelisé en lambeaux claque dans le vide

Le Saint-Laurent se tait

Je tends la main

Tout éclate

Dans ma nuit noire

À l’aide! À l’aide!

Les canons grondent

La mort…au loin

Tout s’effondre, mon fleuve sombre

Roulement de dés

Dans l’éclair 

Je m’engouffre

Dans la fin des temps

Vers ce jour qui ne viendra pas

Coup de tambour

Renverser le grand sablier qui s’écoule lentement

Goutte à goutte

Sur ma jeunesse noire

Tout disparaît

L’Union Jack claque sur les plaines d’Abraham

1760 arrive

Québec rend les armes

Montréal capitule

Vaudreuil abdique

Derrière les remparts en ruines

De la cité martyre

Je hurle en anglais…

Tout s’embrume

Sous les coups de fusil

La nuit arrive

Ma langue se meurt

Au bout des mâts qui tremblent

Sous ce souffle qu’il me manque

Pour déployer mon drapeau bleu et blanc

À perte d’âme

Vers l’horizon qui lentement s’endort

Au bout du firmament

Glacé d’encre

Survolant ma parole en sang

Face aux crépuscules d’ombres qui courent

D’Orléans à Trois-Rivières

Tuer la lumière

Sous le chant du Coq

Sous une pluie d’étoiles filantes

Avant de se taire

Dans un dernier sanglot

Étouffé

Couleur de temps écoulé

Et de ciel mort

***

Fire! Fire!

Tout s’éteint

Sur le Saint-Laurent immobile qui attend la fin

Au loin

Dernier éclair rouge

Je hurle…la tempête

De toute ma langue blessée

Dans le soir qui tombe

Comme un linceul de printemps en larmes échappé trop tôt

Sur ton corps gémissant

Dans l’aube à naître

Que je ne voyais même plus

Dans un premier frisson de mort

À la croisée des rêves

Sous quelques arpents de neige éplorés

Qui lentement disparaissent

Dans un dernier soupir murmuré

Sous la faucille étincelante

Qui s’abat, de l’anglais plein la bouche, sur des champs de fleurs de lys

Fanées avant l’heure dans l’agonie du jour en pleurs

À moi! À moi!

L’Union Jack claque, je chancelle

Tout s’effondre

Dans le blizzard

Une belle princesse endormie

Dans l’aurore déchirée

Des canonnades de Sainte-Foy

S’enfuie vers l’infini

Dans le soleil fou de l’été

Parti

Dans un coup de vent…

Mais tu n’ouvres pas les yeux

Échappant ton étendard à fleurs de lys

Dans ton dernier vertige

En route pour l’enfer

Qui s’ouvre droit devant nous

Cœur à cœur

Dans le naufrage

Mais tu ne te réveilleras pas

Dans le jour évanoui

Seule contre la marée…

Et la fuite du temps

Sous mes cris rauques de Chevalier vaincu

Dans la tourmente

L’épée à la main et la cape au vent

Chevauchant à toute allure vers le silence

Trahi

De l’île sans issue, du premier outrage

De ce nom de Lévis traîné jusqu’à terre

Sous la pluie battante et les flammes mortes

Du dernier voyage…

Montréal va bientôt capituler! Montréal va bientôt capituler!

Fini Carillon, fini l’espoir!

On dégringole

Main dans la main

Vers la vieillesse et la potence

Tout part au vent

Ne restent plus que mes drapeaux brûlés vifs sous l’ombrage

De la Conquête en marche

Dans le soir mourant

Et ma voix presque éteinte

Déjà muette et froide

De haine boréale

Tremblante sous la destinée

À l’approche de la mort

De tous les printemps

Inachevés

Trinquant à l’éternité…

Dans une dernière valse

Parfumée

Désolé! Désolé!

La musique s’arrête

Montréal tombe

La poussière revole

Tout s’enfuit

L’avenir nous guette

Tu t’envoles sans un cri, blessée pour toujours

Tes ailes en flammes déployées

Une dernière fois vers la France

En larmes

Dans la poussière sanglante des navires qui sifflent et s’éloignent

Toutes cloches battantes

Vers l’infini

Mais ne reviendront pas

Jamais

T’arracher au sommeil de l’Éternel

Au bout de l’horizon…

Tout finit

Une colombe dégringole des nuages

Comme fauchée en plein ciel

Sans savoir pourquoi

Éclair noir

Dernier battement d’ailes

Ton corps dans mes bras

Silence

Ennemis, ne tirez pas!

Le vent hurle…c’est déjà 1760

Je tombe à genoux

Dans mon blizzard

Natal

***

Feu! Feu!

Adieu, Paris

Je m’en vais mourir

Au bout de ma nuit

Sans étoiles ni soleils

Oublie tout

Mon destin m’attend

Les dés sont jetés

Nos drapeaux flambent

Pour toute l’éternité

***

Fire! Fire!

Le Temps passe

Dernier sanglot

Dans le clair de lune

Je brûle

Depuis toujours

Les canons éclatent

Dans le silence

Je me rends…sèches tes larmes…

Laisse-moi m’envoler…dans ton ombre…

Ma chère Nouvelle-France…

Que je te couvre de mon corps criblé de balles…

Mais ne meurs pas…ne meurs pas…

Que dure la dernière étreinte…une seconde encore…

Sous quelques plumes de colombes qui flottent encore dans le ciel noir de septembre… Devant Montréal en pleurs…

L’espace d’un dernier mot français

Couleur de liberté et de résistance

Crié debout à tue-tête dans ma ville envahie

À genoux sous mon bâillon

Renversé dans ma tombe

La tête levée vers demain

Devant les premières lueurs du crépuscule

Errant

En route vers l’échafaud

Jusqu’à l’assimilation…

Et la fin

Qui se jettent sur nous

Flamberge au vent, tambour battant

Jusqu’au bout…

Dans la nuit noire

FIN

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire