Labyrinthes
Par Frédérique Champagne
Fire! Fire!
Tout s’embrase
Dans le silence mort
Des fleurs de lys qui tombent
Une à une
Dans l’ombre
Des mirages en larmes
Une colombe s’envole
Dans l’aube en flammes
Speak english! Speak english!
Au bout des baïonnettes
Qui fument encore
Dans mon ciel de glace
Le Temps tourne
Un fleurdelisé en lambeaux claque dans le vide
Le Saint-Laurent se tait
Je tends la main
Tout éclate
Dans ma nuit noire
À l’aide! À l’aide!
Les canons grondent
La mort…au loin
Tout s’effondre, mon fleuve sombre
Roulement de dés
Dans l’éclair
Je m’engouffre
Dans la fin des temps
Vers ce jour qui ne viendra pas
Coup de tambour
Renverser le grand sablier qui s’écoule lentement
Goutte à goutte
Sur ma jeunesse noire
Tout disparaît
L’Union Jack claque sur les plaines d’Abraham
1760 arrive
Québec rend les armes
Montréal capitule
Vaudreuil abdique
Derrière les remparts en ruines
De la cité martyre
Je hurle en anglais…
Tout s’embrume
Sous les coups de fusil
La nuit arrive
Ma langue se meurt
Au bout des mâts qui tremblent
Sous ce souffle qu’il me manque
Pour déployer mon drapeau bleu et blanc
À perte d’âme
Vers l’horizon qui lentement s’endort
Au bout du firmament
Glacé d’encre
Survolant ma parole en sang
Face aux crépuscules d’ombres qui courent
D’Orléans à Trois-Rivières
Tuer la lumière
Sous le chant du Coq
Sous une pluie d’étoiles filantes
Avant de se taire
Dans un dernier sanglot
Étouffé
Couleur de temps écoulé
Et de ciel mort
***
Fire! Fire!
Tout s’éteint
Sur le Saint-Laurent immobile qui attend la fin
Au loin
Dernier éclair rouge
Je hurle…la tempête
De toute ma langue blessée
Dans le soir qui tombe
Comme un linceul de printemps en larmes échappé trop tôt
Sur ton corps gémissant
Dans l’aube à naître
Que je ne voyais même plus
Dans un premier frisson de mort
À la croisée des rêves
Sous quelques arpents de neige éplorés
Qui lentement disparaissent
Dans un dernier soupir murmuré
Sous la faucille étincelante
Qui s’abat, de l’anglais plein la bouche, sur des champs de fleurs de lys
Fanées avant l’heure dans l’agonie du jour en pleurs
À moi! À moi!
L’Union Jack claque, je chancelle
Tout s’effondre
Dans le blizzard
Une belle princesse endormie
Dans l’aurore déchirée
Des canonnades de Sainte-Foy
S’enfuie vers l’infini
Dans le soleil fou de l’été
Parti
Dans un coup de vent…
Mais tu n’ouvres pas les yeux
Échappant ton étendard à fleurs de lys
Dans ton dernier vertige
En route pour l’enfer
Qui s’ouvre droit devant nous
Cœur à cœur
Dans le naufrage
Mais tu ne te réveilleras pas
Dans le jour évanoui
Seule contre la marée…
Et la fuite du temps
Sous mes cris rauques de Chevalier vaincu
Dans la tourmente
L’épée à la main et la cape au vent
Chevauchant à toute allure vers le silence
Trahi
De l’île sans issue, du premier outrage
De ce nom de Lévis traîné jusqu’à terre
Sous la pluie battante et les flammes mortes
Du dernier voyage…
Montréal va bientôt capituler! Montréal va bientôt capituler!
Fini Carillon, fini l’espoir!
On dégringole
Main dans la main
Vers la vieillesse et la potence
Tout part au vent
Ne restent plus que mes drapeaux brûlés vifs sous l’ombrage
De la Conquête en marche
Dans le soir mourant
Et ma voix presque éteinte
Déjà muette et froide
De haine boréale
Tremblante sous la destinée
À l’approche de la mort
De tous les printemps
Inachevés
Trinquant à l’éternité…
Dans une dernière valse
Parfumée
Désolé! Désolé!
La musique s’arrête
Montréal tombe
La poussière revole
Tout s’enfuit
L’avenir nous guette
Tu t’envoles sans un cri, blessée pour toujours
Tes ailes en flammes déployées
Une dernière fois vers la France
En larmes
Dans la poussière sanglante des navires qui sifflent et s’éloignent
Toutes cloches battantes
Vers l’infini
Mais ne reviendront pas
Jamais
T’arracher au sommeil de l’Éternel
Au bout de l’horizon…
Tout finit
Une colombe dégringole des nuages
Comme fauchée en plein ciel
Sans savoir pourquoi
Éclair noir
Dernier battement d’ailes
Ton corps dans mes bras
Silence
Ennemis, ne tirez pas!
Le vent hurle…c’est déjà 1760
Je tombe à genoux
Dans mon blizzard
Natal
***
Feu! Feu!
Adieu, Paris
Je m’en vais mourir
Au bout de ma nuit
Sans étoiles ni soleils
Oublie tout
Mon destin m’attend
Les dés sont jetés
Nos drapeaux flambent
Pour toute l’éternité
***
Fire! Fire!
Le Temps passe
Dernier sanglot
Dans le clair de lune
Je brûle
Depuis toujours
Les canons éclatent
Dans le silence
Je me rends…sèches tes larmes…
Laisse-moi m’envoler…dans ton ombre…
Ma chère Nouvelle-France…
Que je te couvre de mon corps criblé de balles…
Mais ne meurs pas…ne meurs pas…
Que dure la dernière étreinte…une seconde encore…
Sous quelques plumes de colombes qui flottent encore dans le ciel noir de septembre… Devant Montréal en pleurs…
L’espace d’un dernier mot français
Couleur de liberté et de résistance
Crié debout à tue-tête dans ma ville envahie
À genoux sous mon bâillon
Renversé dans ma tombe
La tête levée vers demain
Devant les premières lueurs du crépuscule
Errant
En route vers l’échafaud
Jusqu’à l’assimilation…
Et la fin
Qui se jettent sur nous
Flamberge au vent, tambour battant
Jusqu’au bout…
Dans la nuit noire
FIN