– Par Orphane Beaulière –
La course à la mairie, des vœux échangés rapidement. Un baiser. La fermeture éclair des bagages, l’aéroport, ce sourire complice, un dernier regret et puis non, nous partons sans regarder en arrière. Une étendue de coton blanc qui me regarde à travers ce petit hublot. Le soleil joue à cache-cache depuis quelques minutes. Il ne me quitte pas des yeux. Je sens mes jambes commencer à s’engourdir. Plus qu’une heure et je pourrai enfin mettre les pieds sur la terre dont j’ai tant rêvé ces derniers mois et surtout ces dernières heures. Lucas est parfaitement endormi à mes côtés, je suis seule à assister au lever du soleil. L’avion atterrit, les bagages retrouvés, les jambes bien étirées, nous nous dirigeons vers l’hôtel. Assise, entassée dans ce croisement entre autobus et jeep, je vois pour la première fois ce pays. Comme de parfaits inconnus, nous nous dévisageons. Quelqu’un a décollé les couleurs de l’arc-en-ciel pour les mettre à chaque recoin de cette ville. Dans les marchés publics, sur les parapluies et les parasols, dans les plats servis dans la rue, les rayons du soleil de midi, partout où je pose les yeux une palette de couleur me fait un clin d’œil. Je suis assise là à sourire comme une vraie gourde devant toute cette diversité, je peux à peine contenir cette hâte, cette excitation!
Cela fait vingt-quatre heures que j’ai un anneau à mon doigt. Rien de conventionnel, ni d’extravagant. La longue robe blanche, les dames larmoyantes de la famille, les filles d’honneur, l’église, je m’en foutais. Une petite cérémonie à la va-vite qui nous permettait de fuir la famille et les bises. Ainsi, maintenant en pleine lune de miel, je me retrouve dans un pays à deux côtés, pile et face. Riche et pauvre. Pour me décider sur les activités de la journée, je sors une pièce de 25 sous de mes poches et je demande à Lucas de faire tourner la pièce. Pile, nous irons faire un tour dans un côté de la ville un peu plus pauvre et face nous continuerons de nous prélasser dans notre suite. La pièce nous révèle qu’aujourd’hui nous pouvons oublier l’hôtel, car c’est pile qui nous fait face.
Ce qui m’a frappée en arrivant sur ce sous à deux faces, c’est à quel point son centre-ville est similaire au nôtre. Je ne veux pas faire un si long voyage pour revoir le même paysage qui m’attend à la maison. Que les gratte-ciel continuent à gratter le ciel, moi je veux voir ce qu’a à m’offrir le côté pile. D’après Lucas, le sud de Manille doit absolument être sur notre liste de choses à visiter aujourd’hui. Premier arrêt, le marché Divisoria. Des melons empilés en forme de pyramide, des enfants devant des commerces, des marchands de bijoux, de tissus, de paniers, de vêtements, et j’en passe. Je ne sais pas où poser les yeux. La marchandise est placée de manière à essayer d’attirer plus de clients que le commerce voisin. Des bribes de conversations dans cette langue asiatique qui m’est complètement étrangère se font entendre. Des odeurs de mets préparés dans la rue me chatouillent le nez. Des moyens de transport, les uns les plus farfelus que les autres. Pour se rendre vers le sud, nous optons pour le train. Après avoir cherché comment trouver le bon train à prendre, nous sommes enfin à bord. Assise confortablement sur ces sièges en métal au bord de ces fenêtres sans vitres, je découvre ce que le côté pile a à me faire découvrir. Ce qui me frappe est le chiffre treize. Ce chiffre rattaché à la malchance en Amérique, est ici rattaché au passage d’un train. Treize fois par jour que les petits doivent arrêter leurs jeux pour le passage d’un train. La vache, ce train! Le frôlement de cette boîte de métal contre le bord des toits de leurs maisons m’effraie plus qu’il n’effraie les habitants du quartier! Mais bon, la vie est belle, le meilleur endroit où placer sa table pour pique-niquer ou tout simplement pour s’asseoir et discuter? Le chemin de fer! Je suis émerveillée par ces squatteurs. Je ne peux pas dire la même chose pour eux, ils me regardent drôlement dès que je sors rapidement du train. Je me promène le long des maisons, j’évite les enfants qui jouent, j’en photographie quelques-uns. Pile ou face ? Tous deux nous sommes étrangers. Pourtant le côté face nous est un peu plus familier. Lucas, on a fait un bon choix comme lune de miel. Je ne suis pas déçue d’avoir choisi ce pays comme accueil de notre fuite. Pas vrai Lucas, qu’on a fait un bon choix? Lucas? Je me retourne sur moi-même comme un chien qui essaie d’attraper sa queue. Lucas? Lucas? Mais où est-il? Je cligne des yeux rapidement. Un train vient tout juste de passer, l’aurait-il pris? Je me promène le long des maisons, je décris Lucas à quelques-uns des habitants, rien à faire : la plupart d’entre eux ne parlent pas anglais. Je marche lentement le long de la raille de train en essayant de repérer le chandail à rayures qu’il porte aujourd’hui. Comment n’ai-je pas pu remarquer plus tôt que Lucas n’était plus à mes côtés ? Mais où est-il? Pile ou face? Tous deux vous m’êtes étrangers. Pourtant, un de vous me cache un joli bijou. Pourtant, un de vous est familier avec un être cher. Pile ou face? Aucun des deux, ce n’est plus question de côtés. Et puis merde, 25 sous m’ont peut-être couté une vie.