
La version québécoise de ta série préférée n’est pas nécessaire…
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Chronique rédigée par Eve Desjardins — Cheffe du pupitre Arts et culture
La diffusion des derniers épisodes de la série LOL : Qui rira le dernier ? sur Amazon Prime soulève l’obsession de la télévision québécoise pour produire sa propre version de séries populaires originalement en anglais. Après avoir consommé plusieurs de ces programmes, j’ai remarqué qu’il y a un pattern à la formule du contenu anglophone « québécisé ».
Lorsque le concept d’une série télévisée est directement inspiré — ou même emprunté — d’une série anglophone par le Québec, on dit que le concept s’inscrit dans le cadre d’une formule gagnante. Ce qui différencie l’originalité de la série télévisée anglophone de celle québécoise, c’est le contenu du programme. Le contenu et le concept peuvent être interprétés de trois manières : original, neutre, ou formule. Il est important de différencier le contenu du concept. Le concept, c’est l’idée qui a déclenché la série, tandis que le contenu, c’est les propos qui se retrouvent au sein de l’émission. Voici des exemples qui illustrent que reproduire du contenu anglophone en français n’est pas toujours fructueux.
Contenu original
La websérie Fourchette d’ICI TOU.TV prend le format d’une série anglophone populaire, Fleabag, mais le fait en y ajoutant du contenu original. Les interventions qui brisent le quatrième mur et qui servent de narration furent popularisées par Fleabag, ce qu’emprunte Sarah-Maude Beauchesne pour sa série Fourchette. Cependant, Beauchesne base l’histoire de Fourchette sur son blogue de 2010, qui devient plus tard un recueil. L’esprit de la franchise est d’ailleurs présent dans Fleabag, qui fut d’abord une pièce de théâtre, puis une série télévisée, avant de devenir un livre. Il y a trop de parallèles entre les deux séries pour nier l’impact qu’a eu Fleabag sur Fourchette.
Un autre bon exemple du concept avec contenu original, ce sont les séries télévisées qui sont basées sur de grandes franchises internationales. Le contenu est seulement original grâce à sa spécificité : la culture québécoise. LOL : Qui rira le dernier fonctionne parce qu’il y a place à l’innovation pour les humoristes lors des segments. C’est certain que Yves P. Pelletier va avoir l’opportunité de faire Stromgol de Rock et Belles Oreilles, parce que les réalisateurs savent que c’est populaire.
La même chose ne peut pas être déclarée pour une série télévisée au concept formule, qui doit innover son contenu. C’est pour ça que SNL Québec a seulement eu neuf épisodes. L’humour québécois ne s’applique pas aux restrictions de la formule de Saturday Night Live. Les personnages originaux produits par SNL Québec qui portait sur la culture québécoise (comme le dédain pour les Franco-ontarien.ne.s), c’est ce qui est gagnant. La troupe de SNL Québec a essayé de suivre la faillite de l’émission avec Le nouveau show, encore sans succès. Après avoir passé l’idée d’un sketch-show québécois à travers un entonnoir culturel, la série Like-moi fait succès.
Contenu neutre
Parfois, le concept d’une série télévisée anglophone ne se traduit pas en version francophone, parce que les circonstances du concept changent. Le contenu n’est alors ni original, ni formule, parce que le tout s’égalise selon l’échelle du spectre de contenu « québécisé ». Un exemple de ceci, c’est la série Contre-offre par Noovo, qui est inspirée de la série britannique Stath Lets Flats.
La dynamique d’une famille grecque à Londres qui loue des appartements, c’est ce qui rend Stath Lets Flats unique, drôle et familière dans sa précision. Le « clash » culturel est perdu lorsqu’on remplace le tout par une famille québécoise « de souche », qui possède une agence immobilière. Le contenu de Contre-offre est assez similaire, mais assez différent de Stath Lets Flats pour qu’il semble recourir à la formule du concept.
Contenu formule
Le contenu formule est évident lorsqu’une série traduit tout référent dans l’émission vers la culture québécoise. Dans le doublage québécois de Les Simpson, la traduction de l’anglais au français canadien se fait de manière plus littérale, en utilisant des expressions particulières au Canada. Par exemple, lorsque Ralph parle des feux de maison dans l’épisode 2 de la saison 11, il dit : « we call them uh-oh’s at my house ». Ceci devient « dans ma maison on appelle ça des oupelaye » pour la version québécoise.
En français de France, le sens de la phrase est complètement changé pour pouvoir utiliser un jeu de mots. Dans la phrase « notre voisine, elle fait quelque part, mais je ne sais pas où », Ralph prononce « fait » comme « feu » et « où » comme « oups ». Cette prononciation des termes clés de la phrase fait référence à la version originale anglophone, tout en créant une nouvelle blague. Pour la version québécoise, le contenu reste pareil, mais le référent de la phrase devient ancré dans la culture québécoise : c’est ça qui est vendeur et c’est ça qui réitère la formule.
Escouade 99 reprend mot pour mot Brooklyn Nine-Nine, en tenant pour acquis que les auditeur.ice.s de la version québécoise ont déjà visionné la version américaine. La série québécoise commence en plein dans le milieu de la trame narrative de la version anglophone, soit l’épisode 17 de la saison 5. Au lieu de demander de chanter « I Want It That Way » lors de la séance d’identification, Max (la version québécoise de Jake) demande aux suspects de chanter « Et Cetera » par Gabrielle Destroismaisons. Il n’y a pas de justification quant au choix de commencer Escouade 99 avec un ordre qui ne suit pas la version originale. Le.la spectateur.ice fait l’inférence que le choix fut fait parce que c’est une blague qui était originalement drôle.
Même 19-2, la rare fois qu’une série québécoise est traduite en anglais, fait recours à un concept formule, soit l’émission de procédure policière. Le contenu est original, mais pas assez individuel pour qu’il ne puisse pas aisément être refait et traduit en anglais. Il faut arrêter de penser qu’une copie conforme de concepts et de contenus anglophones mérite toujours d’être refaite sous le biais de la culture québécoise, parce que la majorité du temps, ce n’est pas une combinaison gagnante.