Par Emmanuelle Gingras
La liberté, elle n’entame pas en prenant en considération. La liberté, complète et intégrale, sanctionne les attentes des autres. Que faire quand l’artiste se doit d’être un lieu d’accueil flexible pour lui-même, envers tout ce qui l’habite, tout en reconnaissant une relation amoureuse stable ?
« Ingrate. » C’est un terme par lequel on m’a souvent appelé. Ingrate de ne pas savoir accepter tout l’amour d’un prochain. Ingrate de ne pas savoir en donner autant qu’il m’est donné.
En effet, souvent je me suis trouvée dans des situations d’incapacité à entretenir des relations amoureuses à long terme. Plurielles soient-elles, la conclusion de mes relations a souvent été la même : un besoin de liberté complète et absolue de mes actes et de ma pensée finissent par blesser mes compagnons.
Mais pourquoi ? À cause d’un besoin incessant de créer, de suivre les deux arts que j’étudie et dont j’espère faire ma vie : le théâtre et l’écriture.
Mais est-ce ingrat que de donner sa tête et ses entrailles à ce que l’on veut créer ? Sûrement. Car l’art, tout en se voulant parfois humanitaire, se dit égoïste.
Devoir quelque chose
Il semblerait que la distinction entre l’art et la réalité peut venir interférer. Dans le cas plus précis du théâtre, des rôles que j’avais à jouer me demandaient d’avoir des interactions intimes avec d’autres acteurs. L’inconfort de certains de mes compagnons du moment à cet égard venait perturber mon jeu, incapable de me fondre pleinement dans ce que je faisais sans culpabiliser.
Au-delà de la simple représentation, il y a aussi l’écriture. Domaine bien plus révélateur que le théâtre selon moi. C’est comme si écrire, tout en se voulant fictif, sait toujours découler de réels maux ou perceptions personnelles. Quelquefois ai-je tenté de faire lire mes écrits à mes compagnons, mais le conflit venait toujours interférer : se croyant responsables ou impuissants face à ce que j’y véhiculais. Alors que ce n’est qu’un combat avec moi-même qu’il me fallait résoudre.
On pourrait dire ici que les situations étaient circonstancielles et qu’il ne faut jamais laisser les réactions extérieures obstruer dans le travail artistique. Toutefois, c’est plus fort que cela peut sembler ; c’est comme si de se permettre d’aborder des sujets qui pourraient choquer son compagnon peut aussi bloquer à titre individuel. En effet, même si les réactions ne devraient pas importer, l’amour l’emporte et ne veut pas blesser.
Un recul sans limites
Le travail artistique est un travail qui demande inévitablement beaucoup de temps seul. L’inspiration pouvant venir de l’extérieur, il me faut faire table rase de mes interactions, prendre du recul sur celles-ci et sur le monde en général, pour pouvoir enfin créer.
Si les attentes de l’amour viennent obstruer, alors la liberté n’existe plus et l’acte de création meurt.
Je crois dur comme fer en l’amour et dur comme fer en la liberté, mais je crois difficilement à l’agencement du changement continu des perturbations de l’artiste et d’un monde statique et trop encadré autour de lui. Ainsi, la relation amoureuse se doit d’être pleinement consciente et à l’écoute de périodes sinueuses, du détachement occasionnel et des limitations du langage et de la pensée.