– Par Élodie Audet Proulx –
Jean savait. Il avait observé sa tête fière, son cou arqué, ses épaules frêles et dénudées, son dos légèrement voûté, ses petites fesses rebondies. Son regard s’y était longuement attardé avant d’admirer ses cuisses fermes et ses jambes longilignes qui fleurissaient en des pieds délicats chaussés par des talons hauts d’un rouge vif.
Jean avait toujours aimé le rouge, comme on aime son chien en fidèle compagnon de tous les instants. Oui, il aimait le rouge, car c’était la couleur de tous les plaisirs, celui du vin velouté qui coule à flot dans les soirées entre amis, celui de la bagnole bruyante qu’il ne pourrait jamais acquérir, celui de la garde-robe des jolies demoiselles émoustillantes, celui des azalées qui s’ouvrent sur le monde au printemps.
Jean savait, donc, qu’il était amoureux, car la belle émanait le corail. Il sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, son cœur qui pompait le sang de la vie qui s’éveillait peu à peu en lui. Un printemps coquelicot qui l’arrachait à l’hiver.
Jean s’approcha timidement de la demoiselle flamboyante, recula, s’avança à nouveau à petits pas lents, s’arrêta, puis continua précautionneusement. Elle se retourna, lui sourit de tout son rouge à lèvres cramoisi. Il demeura bouche bée devant un tel rubis scintillant. Il l’aborda avec douceur, la complimenta. On entendit son rire franc à elle qui résonna en son cœur à lui et on vit le pourpre envahir leurs joues à l’unisson.
Jean amena sa valentine au cinéma, au restaurant, au musée, au parc, au théâtre. Il fit d’elle l’objet de sa galanterie et de son affection passionnée. Elle accepta de bon cœur l’amour courtois de son prétendant tout de noir vêtu.
Jean ne la toucha pas. La nature même de leur relation interdisait la chose. Sa peau liliale, quelque alléchante qu’elle fut, ne parut pas éveiller les désirs comme celle d’une chair rosée qui se dénuderait sous les caresses. Car Jean aimait sa douce, la respectait, la cajolait, la protégeait, la couvrait de présents, la complimentait et, quelquefois, appliquait doucement ses lèvres pâlottes sur la main d’ivoire gantée de son amoureuse.
Jean en conclut que leur relation enracinée dans la tendresse méritait un anneau serti d’un grenat, le tout arrosé d’un champagne mousseux, accompagné de succulentes fraises bien mûres, coupées en deux et nappées de chocolat très noir. Jean parsema son lit de pétales de roses rouges et le drapa de satin d’une opalescence exquise. Il fit la grande demande un dimanche ensoleillé, le suroît enveloppant de sa chaleur la caresse de leur étreinte. Des lèvres vermeilles de la demoiselle sortirent un « oui » à peine perceptible qui fit basculer le couple dans les délices de l’alcôve.
La coquine, le visage rubicond de plaisir, n’aperçut point la lueur rougeoyante qui vacillait dans l’œil noirci de volupté de son amant. Puis, il fit ce dont il avait toujours rêvé : il s’empara du couteau qui avait innocemment servi à couper les fraises et le planta brutalement dans la poitrine laiteuse de sa bien-aimée. Il en extirpa minutieusement le cœur qui laissa une plaie béante s’épanchant de sang. Tandis que la victime s’exhalait de son dernier souffle, Jean trempa complètement le cœur de sa défunte amoureuse dans le chocolat très noir et entreprit de déguster tranquillement l’organe battant encore, dégoulinant de sang, tachant les draps blancs.
Jean se délectait du rouge, de la vie et, par dessus tout, de l’amour de sa tendre dulcinée. Son sang vivrait en lui éternellement. Il enfila les escarpins rouge vif de la belle et embrassa sa rigidité cadavérique. Il était enfin un amoureux transi.