Inscrire un terme

Retour
Actualités

« Ce qui est important c’est que l’on se parle, que l’on puisse arriver à dégager des consensus »

Actualités

Par : Nicolas Hubert

À l’occasion de cette dernière édition de l’année universitaire, La Rotonde s’est entretenue avec le recteur de l’Université d’Ottawa (U d’O), Jacques Frémont, afin de dresser un bilan de ses deux premières années à la tête de notre communauté universitaire, de revenir sur les dossiers majeurs de la dernière année ainsi que sur les perspectives de développement de l’Université.

La Rotonde : Quel bilan faites-vous de la dernière année universitaire, quels en ont été les faits marquants ?

Jacques Frémont : Au plan physique, le campus a beaucoup changé cette année, avec l’ouverture du Carrefour des apprentissages après le temps des Fêtes. Je pense que ça a été adopté spontanément par les étudiants; chaque fois que j’y vais, c’est plein de monde. Les gens ont aussi souffert à cause du pavillon SITE, des technologies. La souffrance est un peu terminée, car au mois de septembre tout va être à nouveau fonctionnel, les laboratoires d’enseignement et les espaces d’activité de recherche. Il y a eu le dossier de la santé mentale qui a été un souci constant sur lequel nous avons continué à travailler toute l’année. Le dossier autochtone était aussi un dossier sur lequel nous avons travaillé. Les réalisations ont été plus discrètes, moins médiatiques, mais il y eut beaucoup de progrès dans les faits, les équipes ont travaillé très fort.

LR : Il y a quelques mois, vous aviez laissé entendre une possible évolution des structures de gouvernance de l’Université, quelle forme pourrait-elle prendre ?

JF : Je ne sais pas dans quel contexte j’ai pu dire ça. C’était sans doute lors d’une réponse à une question particulière. Ce qui est clair, c’est que l’on essaie toujours d’améliorer les structures de gouvernance, mais le cœur de la gouvernance, le système bicéphale avec le Sénat qui est responsable du volet académique et isolé du Bureau des gouverneurs, qui lui est responsable du volet budgétaire. Pour moi, c’est extrêmement important et il n’est pas question que l’on remette cela en cause. Mais, avec la proposition pour qu’il y ait davantage de professeurs à temps partiel qui soient représentés au Sénat, je pense que c’est une nette amélioration que l’on est en train de mettre en œuvre ces jours-ci. Il y a une meilleure présence des étudiants au niveau du comité du budget, cela a été fait informellement, mais les étudiants ont pu assister aux séances où était question du comité du budget, de partition du budget, des droits de scolarité, et cetera. Donc on essaye d’améliorer les choses, d’être le plus transparent possible. On a déjà une gouvernance qui est très collégiale, mais il y a toujours place à amélioration. Pour moi ce qui est important c’est que l’on se parle et que lorsqu’il y a vraiment besoin d’amélioration, que l’on puisse en arriver à dégager des consensus.

LR : Le plan stratégique Destination 2020 va bientôt arriver à terme …

FR : Oui, il paraît que 2020 arrive (rires) ! Oui écoutez, on est déjà dans l’autre cycle et il est clair que l’année 18-19, donc l’année qui va commencer dans quelques semaines, qui va commencer pour les étudiants en septembre va être l’année de planification. L’année où j’espère que l’on va avoir une bonne conversation sur le campus, sur la prochaine étape. Cela va commencer au courant de l’automne, j’espère que cela va prendre de 6 à 8 mois. Je pense que l’on peut construire sur 2020. Il y a l’enseignement, la recherche, il y a l’international puis il y a la francophonie, le caractère bilingue de l’Université d’Ottawa, mais ces 4 pôles-là ne disparaîtront pas pour 2030 ou 2025. Il va falloir voir dans quel espace-temps l’on va devoir se situer, mais il va falloir se décider. Mais voyons, 10 ans c’est peut-être un peu long, 5 ans c’est peut-être un peu court. Mais tout le monde va être invité, par toutes sortes de moyens, à participer à cette conversation, pour voir finalement qu’est-ce que le milieu veut et où l’on veut être dans 10 ans, et tirer le bilan aussi de 2020.

LR : Quel est justement ce bilan?

JF : Écoutez, on va avoir à le tirer ensemble ce bilan. Moi, cela va faire bientôt deux ans que je suis ici. Ce qui me paraît clair c’est que 2020, à certains égards, n’était pas une planification stratégique. Le plan a d’autre part émis un certain nombre de cibles dont certaines ont été atteintes et d’autres n’ont pas été atteintes, alors il faut tirer le bilan afin d’éviter de répéter les erreurs de 2020 dans 2030.

LR : Quelles cibles n’ont pas été atteintes ?

JF : Je pense qu’il y a plusieurs cibles qui ont été atteintes, il y en a où on a carrément passé en-dedans. L’une de celles qui me dérangent beaucoup, c’est la question de la satisfaction étudiante, l’expérience étudiante. Alors il faut se demander pourquoi on n’est vraiment pas là.

LR : L’Université a fait plusieurs comités et sondages à ce sujet, qu’en ressort-il ?

JF : Il n’y a pas eu beaucoup de sondages. La question de l’expérience étudiante, il faut que l’aiguille décolle, il faut que cela commence à monter, il faut que les étudiants soient plus satisfaits qu’ils ne le sont. Alors, vous le savez, le provost a mis sur pied un groupe de travail qui s’active actuellement où il y a une majorité d’étudiants et où il n’y a aucun administrateur. Donc, débats des étudiants pour se parler, pour se parler franchement et essayer de diagnostiquer où est le problème et d’identifier des solutions imaginatives et réelles.

LR : Quels seront les axes du prochain plan stratégique ?

JF : Ce que l’on a appelé les piliers du plan Destination 2020, pour moi, ne sont pas des axes stratégiques. Cela définit l’Université, mais être stratégique c’est définir un but où on veut aller avec ces 4 axes là et probablement de façon intégrée aussi. J’ai des petites idées. On va avoir une conversation très solide sur notre présence à Ottawa. Est-ce que l’on s’est véritablement appuyé sur la présence du gouvernement fédéral ? Il y a aussi toute la question des liens avec le parc technologique et tout ce qui se fait dans la région d’Ottawa, car c’est un des hauts lieux de la recherche au Canada, c’est très discret, les gens l’ignorent, mais c’est très réel. Nos facultés auraient sans doute tout à gagner à avoir des liens avec ces espaces technologiques, mais aussi à jouer un rôle en termes de formation. Il y a des pistes qui font que le caractère distinctif de l’Université d’Ottawa c’est pas seulement d’être une université bilingue, il faut aller plus loin que ça. L’ambition internationale aussi est importante.

LR : Justement, quelles sont les perspectives de développement international de l’Université ?

JF : Ce qui est clair, c’est que la francophonie est l’un des as dans notre paquet de cartes et c’est un as que l’on doit exploiter au maximum. Par exemple, on va avoir au début mai une conférence de l’Organisation internationale de la Francophonie, et l’Université d’Ottawa est l’hôte de la conférence. Cela va être ministériel et politique, pour parler de tout ce qui est sortie de crise, conflits, défis au niveau sécuritaire, et cetera. Cela va se passer à l’Université, à mon invitation, et fait partie d’un positionnement stratégique fort au sein de la francophonie et cela j’ai confiance qu’on va y arriver assez rapidement.

C’est clair que le français est parmi les 4 langues au potentiel le plus important. L’Afrique, c’est une terre à moitié francophone, à moitié anglophone. Il y a beaucoup de langues nationales en Afrique, mais les langues nationales sont des langues régionales ou locales et donc le français et l’anglais sont des langues de communication. Et comme par hasard, nous, nous avons les deux. Donc on peut couvrir l’Afrique, cet immense continent qui a tout son avenir devant lui et qui est de loin la terre de tous les développements au cours des prochaines années, y compris de tous les développements intellectuels : la contribution de l’Afrique à notre communauté intellectuelle est de plus en plus importante. Elle est souvent ignorée, elle est souvent peu connue et il faut que l’U d’O soit au cœur de toutes ces interrogations.

L’internationalisation de l’U d’O c’est bien plus que les étudiants internationaux. On va de plus en plus vers la recherche internationale, le développement de plateformes conjointes de recherche, avec de grands laboratoires internationaux. L’autre objectif sur lequel on va s’entendre c’est la mobilité sortante. Ça serait bien que l’on ait de plus en plus de nos étudiants qui sortent. Sortir c’est s’ouvrir sur le monde, c’est se donner des habilités, des compétences que l’on aurait pas simplement en restant sur son campus. Cela va être important que nos étudiants aillent prendre l’air.

LR : L’U d’O peut-elle se faire une place à l’international en tant qu’université et partenaire de recherche ?

JF : Ça tombe directement dans les axes de développement. L’Université d’Ottawa est au Canada probablement l’université où les plateformes de recherche sont les plus internationalisées. C’est peu connu, mais on a un laboratoire de recherche commun avec Max Planck qui est la grande agence de recherche allemande. On a des laboratoires conjoints aussi avec le CNRS en France et on vient d’annoncer à la fin de l’année dernière la création du premier laboratoire conjoint en Amérique du Nord avec l’Académie des sciences de Chine. On a déjà pris le virage, mais il faut continuer à le prendre de façon plus énergique et dans tous les domaines, pas uniquement les domaines scientifiques, mais également dans le domaine des sciences sociales et des arts.

LR : Vous aviez fait part au début de l’année universitaire de votre volonté d’aborder le bien-être et la santé mentale comme un chantier majeur pour l’U d’O, quelles ont été les réalisations accomplies et que reste-t-il à faire ?

JF : Cette année a été l’année de la mise en place de nouvelles façons de faire. On a déjà beaucoup de ressources en termes de santé mentale et si on se compare avec d’autres, on n’a pas à se cacher, au contraire. Mais ces différentes ressources ne se parlaient pas [entre elles] et maintenant, il y a encore des progrès à faire, mais c’est beaucoup mieux intégré. C’est-à-dire que quelqu’un qui a un problème de santé mentale, peu importe où cette personne-là va s’adresser, maintenant elle va être orientée rapidement vers le type de ressources dont elle a besoin. Pour moi, c’est extrêmement important.

Il y a toujours un service de première ligne qui est très important, mais malheureusement cela ne suffit pas. On pourrait multiplier par 10 les ressources que l’on met et l’on n’arriverait pas au bout, mais il faut s’assurer que quand il y a urgence que les bonnes interventions se fassent. Il y a une question de ressources, on ne se le cachera pas : lorsqu’ont eu lieu les consultations pré-budgétaires du gouvernement de l’Ontario, j’ai été le premier à dire que la santé mentale devrait être une priorité absolue. On a poussé fort et dans le dernier budget il y a des ressources significatives en matière de santé mentale. Maintenant, comment cela va atterrir ? On ne sait pas. Quelles sortes de moyens cela va donner à notre communauté, est-ce que cela va nous permettre de faire un reset significatif, ou est-ce que cela va nous permettre de faire l’addition à la marge de nouvelles ressources ? Je ne sais pas.

Une des difficultés, c’est l’articulation des responsabilités que nous avons, nous, sur le campus et la responsabilité que la société a aussi. Oui, il y a des services que l’on doit donner sur le campus, mais il y a des services aussi que la société doit être capable de donner. On ne peut pas dire que pour notre communauté, le dossier de la santé se termine aux limites du campus. Il faut vraiment qu’il y ait une convergence des soutiens.

LR : Vous avez fait une déclaration sur la motion BDS qui a été refusée par la Fédération étudiante de l’U d’O, pouvez-vous revenir dessus et l’expliquer ?

JF : Les universités doivent être les hauts lieux du savoir et de la circulation des idées. Les établissements d’enseignement supérieur, c’est le seul espace de réflexion quand les libertés sont restreintes et je ne parle pas d’Israël là ni de BDS, je parle en général. Ce n’est pas parce qu’un pays est pris avec un dictateur, avec des systèmes répressifs, que tout le monde dans le pays partage ce point de vue là. Si les universités ne jouent pas leur rôle, il n’y a personne qui va le jouer. Si on ne prépare pas la relève pour faire ouvrir les mentalités, c’est par les universités que cela passe et si on boycott un pays, les universités d’un pays, on coupe l’oxygène à des milieux qui sont spontanément des milieux par lesquels le changement arrive. Pour moi, c’est une conviction extrêmement profonde que le boycott est la dernière des solutions pour les établissements d’enseignement supérieur.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire