– Par Romane Baleynaud –
La compagnie de danse contemporaine Marie Chouinard a commencé sa tournée samedi à Ottawa avec deux nouvelles créations.
La chorégraphe montréalaise de renommée mondiale Marie Chouinard – connue pour ses solos remarquables et ses reprises des célèbres Sacre du printemps et Prélude à l’après-midi d’un faune de Nijinsky – était de retour au Centre national des Arts samedi soir avec sa compagnie de danse contemporaine. Elle a fait salle comble lors de la présentation de ses dernières créations : Gymnopédies et Henri Michaux : Mouvements.
Dans la première partie de ce spectacle en deux temps, 11 danseurs évoluent sur la musique d’Erik Satie, ce compositeur avant-gardiste de la fin du XIXe siècle. Ses trois Gymnopédies sont inspirées de danses de la Grèce antique, auxquelles les jeunes spartiates s’adonnaient, nus, en l’honneur d’Apollon. En interprétant ces notes, Marie Chouinard retranscrit cette atmosphère originelle, onirique, épurée et bestiale, qui tend vers un enthousiasme dionysiaque.
La pièce s’ouvre par le dévoilement des corps sublimés par les jeux de lumières, tandis que des danseurs se relaient au piano et égrènent les partitions de Satie. La chorégraphie laisse une large place aux duos, qu’ils aient lieu à même le sol ou au cours de portés majestueux. Selon une dynamique d’ensemble qui évolue en crescendo, les mouvements d’abord sensuels s’érotisent peu à peu et les danseurs ne sont plus que des corps mus par leurs sens en extase. Les performances deviennent tellement expressives qu’elles tendent vers des prestations théâtrales, tant elles font appel aux voix, aux regards, aux expressions du visage, et renvoient au pathétique ou au grotesque. La représentation atteint alors un niveau d’expressivité que seule la danse contemporaine permet.
La seconde création de la compagnie résulte d’un procédé tout autre. La pièce ressemble plutôt à un exercice de style, un défi personnel de la part de la soliste. Cette dernière propose une transcription littérale du livre d’Henri Michaux, Mouvements, publié en 1952. L’ouvrage comprend un poème et une série de taches au bord de l’abstraction, réalisées à l’encre de Chine. Les danseurs interprètent ces idéogrammes à la façon d’une partition, en imitant les formes projetées derrière eux. Cette chorégraphie, construite sur des solos, insuffle de nouvelles dimensions à l’œuvre de Michaux, qui prend alors forme dans l’espace, en mouvements et en sons. Le poème central est déclamé en toile de fond, avant qu’un vacarme électroacoustique n’envahisse la salle. La frénésie des corps se mue brusquement en transe stroboscopique lorsque que le noir devient blanc et que le blanc devient noir. Ce jeu de contrastes prend fin en même temps que la pièce : juste avant que le public ne sombre dans une crise épileptique collective.
Alors que le rideau tombe, les spectateurs se lèvent unanimement pour applaudir cette « créativité à l’état pur, sans ornement ni fioriture qui », selon le témoignage d’une spectatrice, « va droit à l’essentiel ». Il s’agit donc d’une première encourageante pour la troupe qui part en tournée à travers le Canada et les États-Unis, avant de finir sa course en Suède.