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Georges Sioui | « L’université bouge très lentement dans son effort pour intégrer les savoirs autochtones. »

3 février 2014

– Par Marc-André Bonneau et David Beaudin Hyppia –

Après avoir discuté la nécessité d’une histoire autochtone de l’Amérique, M. Sioui a commenté les enjeux contemporains qui touchent les nouvelles générations amérindiennes et l’influence du mouvement Idle No More. Les propos de ce dernier se veulent un pont entre la mobilisation écologiste et la pensée circulaire et une preuve de la nécessité d’un dialogue entre les cultures.

LR : Pourquoi avoir choisi l’université comme moyen de combattre?
GS : Parce que l’université est une institution où cela doit se passer et que cela ne se passe pas. L’université, c’est l’endroit du savoir, alors il faut s’intégrer dans ce milieu-là, malgré qu’il soit souvent résistant à nous intégrer, à nous accepter. Traditionnellement, au Canada, on n’a pas admis que les peuples autochtones avaient une capacité égale à tout le monde de faire de telles études. C’est instinctif de notre part de vouloir aller où les gens discutent et où les idées s’élaborent dans la société. De plus, ce sont des terrains neutres. On est continuellement aux prises avec des discours politiques, légalistes, qui divisent, qui font le contraire de ce qui doit se produire, c’est-à-dire rapprocher. On trouve dans l’université plus de chances de se mettre à l’abri de ces discours-là, qui sont purement politiques.

LR : D’après vous, l’université reste-t-elle toujours un bon moyen de transmettre le savoir autochtone?
GS : Oui, mais l’université bouge très lentement dans son effort pour intégrer les savoirs autochtones. On le fait d’une façon surtout politique, on ne veut pas être en reste vis-à-vis les autres universités. Ça fait dix ans qu’on a ce programme d’études autochtones ici, mais qui en réalité vivote parce qu’au bout de deux ans on était censés ajouter des professeurs et des cours, mais ça tarde beaucoup. Les communautés autochtones sont un peu déçues. Il y a dix ans, quand on a inauguré le programme, des représentants de l’Université avaient fait des promesses solennelles de prendre ce programme très au sérieux. Maintenant ça fait dix ans et ça n’a pas évolué beaucoup.

LR : Selon vous, quels sont les plus grands défis des jeunes générations amérindiennes? Sont-ils les mêmes défis que ceux des autres décennies?
GS : Le plus grand défi est de reprendre un contact réel avec leurs traditions. Je pense qu’on n’arrive pas à grand-chose si on s’arrête aux discours politiques. Les politiciens sont là pour ériger des petites bureaucraties, des classes sociales entre les autochtones, et ceux qui ont vraiment des connaissances valables à transmettre ne sont pas considérés ou regardés. Le plus grand défi, c’est l’éducation. Par celle-ci on peut reprendre contact avec des traditions plus profondes, comme les traditions politiques. Par exemple, comment en étions-nous arrivés à créer des sociétés dans lesquelles l’abus des femmes était impossible ou encore inexistant, dans lesquelles on n’avait pas de hantise vis-à-vis de l’environnement tel qu’on en connait aujourd’hui? Comment est-ce que des humains ont pu créer des sociétés aussi sécuritaires? Quelle sorte d’inspiration peut-on en tirer aujourd’hui? Beaucoup.

LR : On a eu la chance d’assister au mouvement Idle No More. Croyez-vous qu’il y a eu lieu un dialogue sincère entre le gouvernement et les contestataires?
GS : Je ne pense pas qu’il y ait même eu un début de dialogue sincère et profond. Je pense qu’on a répondu de façon politique aux attentes, au cri du cœur de nos gens et de nos jeunes. Il n’y avait pas d’intention réelle de faire un rapprochement entre les gens de la part du gouvernement. Le mouvement reste toujours solide, mais le gouvernement n’a même pas commencé à se pencher sur les revendications et sur les craintes telles qu’exprimées par les gens qui mènent ces combats-là.

LR : Avez-vous des attentes face à une deuxième vague de mobilisation?
GS : Je trouve qu’il faudrait renommer ce discours-là. Au lieu de parler de victimisation, il faudrait parler surtout de la contribution des Autochtones à la création de ce pays, que l’on qualifie de meilleur au monde. Je pense qu’il faudrait commencer par des remerciements au lieu d’excuses. Les excuses, on ne sait jamais si c’est sincère. En premier lieu, un merci pour tous les sacrifices qui ont été accomplis par les peuples autochtones. Des confédérations de nations complètes ont disparu pour que ce pays puisse exister. Je pense qu’à partir du moment où on dit merci, on peut commencer à se demander ce qu’on peut faire pour vivre mieux ensemble, pas seulement donner quelques poignées de dollars et faire semblant que le problème a été réglé.

LR : Et finalement, qu’est-ce qui est porteur d’espoir pour vous?
GS : Ce sont les jeunes, et pas exclusivement autochtones, les jeunes de tout le Canada. Ces jeunes qu’on a devant soi quand on enseigne ont une capacité de réceptivité de beaucoup supérieure à celle que l’on a connue dans le passé. Lorsque je suis allé sur la colline parlementaire avec mon fils, on a réalisé que les Autochtones développaient un nouveau discours d’unité et de rapprochement entre les Autochtones et les non-autochtones. On a vu des gens de toute origine qui dansaient ensemble, ici à Tabaret. C’est quelque chose qu’on n’avait pas encore vu dans l’histoire de ce pays. Parfois, on assiste à des discours politiques sans intérêt, mais cette fois-là, et depuis ce temps-là, le thème de la solidarité prédomine. On sait que les peuples autochtones ont des choses à dire, mettons-nous a l’écoute.

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