Inscrire un terme

Retour
Actualités

Gabriel Nadeau-Dubois : « La démocratie, ce n’est pas juste des structures, c’est des habitudes »

MG_0106– Par David Beaudin Hyppia –

Dans un entretien réalisé la semaine dernière avec La Rotonde, portant sur son livre Tenir tête et sur son écriture, Gabriel Nadeau-Dubois discute de concepts politiques de désobéissance civile, de représentation politique et d’assemblées générales.

La Rotonde : Plusieurs chroniqueurs et journalistes blaguaient sur le fait que les leaders étudiants deviendraient politiciens. Qu’indiquent, selon vous, ces blagues sur le rapport qu’ont les gens avec la politique?

Gabriel Nadeau-Dubois : Le rapport que les gens ont eu avec les leaders étudiants était un rapport de confrontation et d’incompréhension profonde, pas parce que les gens sont stupides, mais parce que la CLASSE représentait une structure politique hétérodoxe et presque hérétique face au dogme politique fondamental qui structure nos institutions politiques et d’une certaine façon nos médias, la structure hiérarchique. Il y a un choc réel entre les deux formes de démocratie et il y a eu une réelle incapacité de rendre compte de l’originalité de la CLASSE. Pour les médias, notre fonctionnement présupposait un rapport autoritaire avec nos membres et qu’on allait toujours faire de la politique après. Quand t’es connu, quand tu parles de politique publiquement, il y a comme une obligation morale de commencer à faire de la politique. On m’a même parfois reproché de ne pas être conséquent, de ne pas vouloir faire de la politique, comme si c’était un passage nécessaire. Ça démontre à quel point on a rétrécit notre compréhension du politique et de la démocratie.

LR : Pourquoi le concept de désobéissance civile n’a pas été accepté par les médias durant le printemps érable?

GND : Premièrement, il faut faire attention quand on parle des médias. C’est plus un filet qu’un bloc. Mais disons, qu’en général, les médias fonctionnent de la même manière que la politique parlementaire. Ils sont très institutionnels et une démarche comme celle de la désobéissance civile et même les mouvements sociaux leur apparaissent comme un monde extérieur et étranger. Par exemple, le mouvement des casseroles, qui se revendiquait de l’illégalité de la loi 78 et qui scandait « la loi spéciale on s’en calisse » voulait en fait dire tout le contraire. On s’en « calisse » justement pas. On la prend très au sérieux et on y désobéit volontairement. Et ironiquement, c’est ce moment, qui était le plus chargé d’illégalité, le plus flagrant de toute la grève, qui a été traité par les médias comme une activité festive. Même le ministre Bachand avait dit qu’il préférait voir cela que les manifestants nocturnes. Ça montre qu’il y a eu une incapacité des médias de rendre compte de la teneur politique d’un mouvement comme celui-ci. Pour eux, la seule manière de comprendre la désobéissance civile c’est au travers des casseurs, mais dès que ça sort de ça, c’est impossible pour eux de comprendre.

LR : Que pensez-vous des mouvements artistiques qui sont sortis dans les rues durant le printemps érable?

GND : Pour moi, ça démontre bien que le mouvement était créatif et sain, mais il ne faut pas oublier par contre que toute cette spontanéité et cette énergie-là, dans les faits, sont le fruit d’un travail qui a duré longtemps, qui est franchement répétitif et terne, mais nécessaire. Durant une grève, c’est facile, le monde est dans les rues, c’est de l’énergie, mais le vrai travail c’est avant. Parce que pendant, c’est relatif.

LR : L’Université d’Ottawa vient de se doter d’Assemblées générales. Qu’en pensez-vous?

GND : C’est long, avoir une AG c’est une chose, et avoir la structure formelle c’est long, mais avoir une culture c’est encore plus long. Créer ce sentiment-là, ça prend des années. Votre assemblée, ça va être long avant que ça devienne dynamique. Partout au Québec, ça existe, mais à un moment, ça n’existait pas, ça a été créée. La démocratie, ce n’est pas juste des structures, c’est des habitudes. Ça prend du temps pour que ça devienne une pratique et que ça apparaisse comme allant de soi. Aussi, il faut trouver des enjeux importants. Si les étudiants sont seulement appelés pour voter des budgets, ils vont vite se désintéresser parce que ce n’est pas intéressant. L’assemblée c’est un moyen et la seule façon de la remplir c’est d’avoir des enjeux qui touchent les étudiants, et pas seulement des assemblées où on prend plusieurs positions et on déclare des choses. Il faut trouver des débats structurant qui vont stimuler les changements démocratiques. Les gens ne participeront pas par principe démocratique, ce sont des enjeux concrets qui vont les faire participer. Finalement, c’est très dur remplir une assemblée. Ça prend plus que des affiches. Ça prend du porte-à-porte dans les classes, il faut rencontrer les gens face à face et il n’y a rien qui remplace ça. Surtout pas Facebook, surtout pas Twitter. Il faut aller parler aux gens un par un. C’est compliqué mais ce n’est pas si compliqué!

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire