Crédit visuel : School of the Photographic Arts: Ottawa
Par Noémie Calderon Tremblay – Journaliste
Dernièrement, j’ai assisté à deux oeuvres d’art aux médiums différents. Bien que différentes en apparence, ces deux oeuvres d’art, distinctes dans leurs médiums et procédés, ont fait surgir chez moi des réflexions analogues sur la réception d’une oeuvre.
Celles-ci s’articulent autour du spectacle de danse contemporaine Frontera et de l’exposition Meditations on Black Lake.
Frontera a été présenté les 19 et 20 février derniers au Centre national des arts. Ce travail de la compagnie Animals of Distinction dirigés par l’artiste Dana Gingras réunit concert rock, danse et art conceptuel. L’oeuvre questionne, comme son nom l’indique, le concept de frontières politiques, économiques et intimes.
Quant à l’exposition Meditations on Black Lake, elle a été conçue par l’artiste Nadia Myre, membre de la communauté des premières nations Kitigan Zibi Anishinabeg. L’exposition est présentée à la galerie du School of the Photographic Arts: Ottawa (SPAO) jusqu’au 6 mars 2020. Il s’agit d’une série de giclées, une impression d’art sur imprimante à jet d’encre à haute définition, au grand format et où la forme circulaire est récurrente. Le tout invite à la méditation et propose une entrée dans un univers spirituel.
Logique artistique ou logique académique ?
J’ai très souvent vu des gens sortir d’une exposition ou d’un spectacle en se disant « je n’ai pas compris ». Il me semble donc que l’art peut occasionner des limites individuelles, personnelles et subjectives à la réception d’une oeuvre.
Je me pose les questions : devons-nous nécessairement comprendre une oeuvre pour en ressortir touché.e ? Une compréhension intellectuelle est-elle obligatoire pour ressentir ?
Puisque Frontera est une forme d’art avec laquelle je ne suis pas des plus familière, je me suis documentée et j’ai fait des recherches sur le spectacle et son médium. Suite à la représentation, j’ai déduit que les frontières étaient en partie représentées par de puissants faisceaux de lumières et que le mouvement des interprètes uni.e.s puis séparé.e.s recréait ces processus de séparation.
Je ne crois toutefois pas avoir saisi l’ampleur des réflexions de l’artiste et le choix de la musique rock n’était pas clair pour moi. Il me restait donc certaines questions après mes conclusions. Je me suis demandée si mon intelligence était en cause, si l’artiste exigeait certains référents pour comprendre son oeuvre.
Dans mon programme, en théâtre, on nous invite à se questionner sur l’impact émotif d’une oeuvre : « ça ne m’a pas touché.e » ou « je ne suis pas arrivé.e à me plonger dans cette oeuvre ». Il est difficile pour moi de déterminer si c’est deux effets ont un lien obligatoire avec la compréhension d’une oeuvre et les référents de chaque individus.
Est-ce là la clé pour faire tomber les barrières ; qu’un artiste assure la compréhension de son oeuvre ou alors de faire émerger des émotions et des sensations de par son art ?
L’art pour se voir
Certain.e.s disent qu’il n’y a que les limites que tu te crées. Bien que j’ai l’envie d’y croire, cette affirmation me paraît simpliste.
Des limites physiques existent parfois entre les cultures, les humain.e.s. Ainsi, des limites culturelles, historiques ou institutionnelles peuvent avoir un grand impact sur l’interprétation d’une oeuvre. Les systèmes de pouvoir comme le racisme ou le sexisme peuvent aussi nous conditionner à voir les oeuvres d’une certaine façon. Ces conditionnements, selon moi, nous dépossèdent des clés nécessaires à l’interprétation.
Avec l’exposition Meditations on Black Lake, il me semblait manquer de clés pour comprendre l’étendue de la signification du cercle et des liens établis avec la thématique de l’identité et de la résilience.
Alors je pose les questions suivantes bien humblement : est-ce que l’art pourrait être une trêve ? Un instant pour écouter sans tenter de noter tout ce que l’on ne comprend pas ? L’art aurait peut-être un objectif plus spirituel et physique que celui d’un cour d’université ou d’une présentation orale, où l’objectif est de faire comprendre à tout prix.
Les limites de l’intellectuel
Selon moi, l’art contraste nos vies tracées par des lignes bien précises. L’art m’apparait comme abstrait, nuancé, inconnu dans sa nature.
D’ailleurs, l’exposition de Myre invitait l’observateur à poser un pied dans un monde invisible : un univers spirituel. Cette présentation m’a permis de sortir de moi en passant par la spiritualité, l’autre, et non la compréhension.
Alors peut-être qu’au final, j’ai gagné à explorer ces oeuvres que je n’ai pas comprises mais qui m’ont ainsi permise d’être patiente, à l’écoute et curieuse. Après tout, ce n’est pas un cours d’université.
N’est-ce pas ça le but de l’art ? Découvrir par la sensation plutôt que la compréhension ?