Par Nonibeau Gagnon- Thibeault, journaliste
Les enjeux liés à la francophonie à la Ville d’ Ottawa ne sont peu ou aucunement abordés par les 12 candidats à la mairie d’Ottawa. Malgré le mécontentement de la communauté francophone face au maire sortant, Jim Watson, aucun candidat ne se préoccupe des dossiers portant sur le bilinguisme à Ottawa. Pourquoi en est-il ainsi ?
Sur les 12 candidats à la mairie, seul trois d’entre eux ont un site web en français. Toutefois, aucune politique sur le bilinguisme ou la promotion de la francophonie n’est présente sur les trois plateformes. Cela met en lumière le peu d’intérêt que les candidats ont envers les électeurs francophones de la capitale nationale.
« C’est comme si on nous traite pas en tant qu’électeurs », juge Linda Cardinal, professeure et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques à l’Université d’Ottawa (U d’O). S’il en est ainsi, ce serait en raison de l’électoralisme qui pousse les politiciens à considérer les groupes sociaux comme des chiffres, selon Mme Cardinal.
Selon le recensement de 2016 de Statistique Canada, les francophones représentent 13,8% de la population ottavienne, ce qui fait en sorte que les francophones n’ont pas un rapport de force suffisant comme groupe pour influencer les politiques d’Ottawa. De plus, cette proportion est en baisse puisqu’il y avait 14,2% de résidents francophones à Ottawa en 2011, selon le recensement.
Un électoralisme au détriment du tissu social
La stratégie électoraliste entraîne le manque d’une dimension morale en politique, selon Mme Cardinal. Le politicien est amené à servir une clientèle électorale sur laquelle il mise plutôt que de développer des politiques qui servent l’ensemble du tissu social. « Dans la ville, il y a des rapports sociaux. La ville ce n’est pas juste des trains, c’est beaucoup plus, incluant les services en français », analyse la professeure, qui insiste sur le besoin de sortir la politique de sa fonction utilitaire pour lui donner une dimension éthique.
Bien que la population francophone occupe une petite proportion des résidents ottaviens, il y a certains quartiers où les francophones occupent une masse critique d’électeurs, notamment Cumberland, Vanier et Rockcliffe. « C’est là que les francophones peuvent changer la donne, souligne Cardinal, « c’est en élisant des conseillers municipaux pour représenter les intérêts des francophones au moins dans leur quartier ».
Une mobilisation francophone présente?
Jusqu’à présent dans cette élection, il y a eu peu de mobilisation concertée dans la communauté francophone afin d’influencer les candidats à la mairie. Caroline Andrew, professeure à la retraite de l’U d’O, explique qu’il y a peu de pression « de la part des francophones puisqu’ils sont relativement éparpillés à Ottawa ». Elle précise toutefois que la mobilisation est plus facile lorsque les groupes ont une base communautaire, mais leur portée est parfois limitée.
À Ottawa, il y a l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO), dont la mission est « de promouvoir la Francophonie et de valoriser les intérêts collectifs de la communauté francophone dans toute sa diversité, au sein de la capitale nationale, tout en favorisant son rayonnement partout en Ontario. »
Le budget de l’organisme permet de tenir un Conseil d’administration ainsi que de payer trois employés, tout en dépendant du bénévolat. « Ils portent haut et fort la cause des services en français. Ce sont des jeunes qu’on laisse tout seuls, à qui on ne donne pas de financement, qu’on n’appuie pas beaucoup. On devrait les appuyer davantage, que ce soit la municipalité ou le gouvernement fédéral », insiste Mme Cardinal.
Durant cette élection, l’ACFO a notamment co-organisé, avec le Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO), trois débats francophones dans des quartiers situés à l’est de la ville.
L’organisme fait également un sondage parmi les candidats au conseil municipal pour connaître leurs intentions par rapport à la francophonie. Sur les 12 candidats à la mairie, seulement deux ont répondu au sondage, envoyé à la mi-août. Les résultats du sondage seront publiés par l’ACFO avant la fin de cette semaine.
La directrice de l’ACFO, Ajà Besler, estime que le projet de loi 177 adopté par le gouvernement de l’Ontario, qui reconnaît le statut bilingue de la Ville d’Ottawa, serait en mesure faire croire à la population que le dossier du bilinguisme est clos. « C’est une étape importante, mais ça ne signifie pas qu’il n’y a plus rien à faire », explique-t-elle.
Besler juge qu’il y a encore du progrès à faire pour les services de loisir et les services par les tiers partis. De plus, elle dénonce l’embauche d’employés anglophones unilingues pour des postes bilingues. Elle insiste aussi qu’il « faut toujours être vigilant pour que les services soient maintenus ». « C’est comme si la loi 177 n’avait pas percolé à l’intérieur de la Ville », ajoute Mme Cardinal.