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Arts et culture

Femmes d’influence : cap sur Marie-Clo

15 octobre 2018

Entrevue web 

Par: Gabrielle Lemire, Cheffe de pupitre Arts et culture

L’auteure-compositeure-interprète Marie-Clo, originaire de Fournier dans l’Est ontarien, a collectionné les honneurs sur la scène musicale francophone canadienne dans les dernières années. Celle-ci a remporté Planète BrBr en 2017 et ajoute cette année son parcours jusqu’à la finale de RondPoint à ses actifs. Grande âme terre-à-terre, la jeune femme se confie sur la réalité du monde de la musique, ses projets à venir et son désir d’affirmer son identité bilingue en produisant de la musique autant en français qu’en anglais.

La Rotonde : Peux-tu nous parler un peu de ton parcours jusqu’à maintenant ?

Marie-Clo : Ça fait depuis l’âge de 3 ans que je danse compétitivement et j’ai fait mes études à De la Salle en théâtre. Ensuite, j’ai continué et j’ai fait un diplôme en comédie musicale à Toronto et dès que j’ai gradué de ce programme-là, j’ai commencé à travailler professionnellement à 18 ans. Ça fait plusieurs années que je travaille comme artiste à temps plein. Maintenant je me concentre sur la musique et moins sur la comédie musicale.

C’est pas toujours possible de faire les deux et quand je choisis un ou l’autre, c’est la musique. La première chose que j’ai fait c’est La Brunante à Sudbury. Avec RondPoint qui s’est terminé en septembre de l’an dernier, je viens de finir Granby, le prix de l’artiste BrBr. C’est d’ailleurs BrBr qui a produit mon EP, ma première vidéo musicale aussi. C’est vraiment ça qui a parti la grosse machine. Nestlé et Aero ont acheté ma chanson pour 52 semaines à la télé et je suis dans l’annonce. Et ces temps-ci, je fais beaucoup, beaucoup de spectacles. C’est vraiment ça qui se passe depuis le début.

LR : Comment tu vis l’évolution qui est en train de se produire dans la musique francophone hors Québec ?

MC : C’est bizarre d’être dans l’évolution parce que je crois que j’ai du mal à avoir autant d’objectivité qu’une personne qui est à l’extérieur et qui fait « Woah, ça a vraiment changé, il y a quelque chose qui se passe ». Ce n’est pas parce qu’il y a plus de talents, ni plus d’opportunités, je ne sais pas c’est quoi, y a-t-il plus de gens à l’écoute ? Est-ce qu’il y a plus d’artistes qui prennent des risques ? Je ne sais pas, parce que je suis dedans. Donc, je n’ai pas cette objectivité-là, par contre, je le sens. C’est super le fun être artiste francophone, il y a beaucoup de ressources. Et TFO, c’est certain que ça joue un gros rôle dans ma carrière. Mais je pense qu’éventuellement, le problème c’est qu’on est minoritaires. Déjà dans notre minorité, il n’y a pas tant de gens que ça qui tiennent à soutenir notre minorité, notre musique. Et ça, c’est un problème. Moi, je la vis bien ma francophonie, et je ne me limite pas à la francophonie, puisque je me sens bilingue. Je compose dans les deux langues et je ne pense pas que ça me définit, je ne vois pas ça comme une frontière. Et si l’Ontario français a de la difficulté avec ça, il y a autre chose. Comme j’ai déjà dit, il n’y a pas plus franco-ontarien que de se définir comme bilingue. C’est notre réalité, on est entourés d’anglophones, il faut s’adapter. Oui, en être fiers et bien se représenter, mais c’est sûr qu’on est entourés. Mais je trouve que c’est riche. Je trouve que ça ajoute à ma culture, donc mon prochain album est en anglais. Et celui d’après, il est français. Ça fait un peu ça, créativement, je trouve. Ce n’est pas comme si je fais exprès ; ce n’est pas du marketing. Des fois, ça sort en français, des fois ça sort en anglais. Et je regroupe un peu les chansons, question de ne pas faire un produit bilingue. Personnellement, je trouve que c’est plus fort faire un produit complètement francophone et un autre, complètement anglophone. Mais de me dire que les anglophones n’écouteront pas le produit francophone et vice-versa, c’est correct. C’est leur frontière à eux et non la mienne. Et c’est correct, je ne peux pas changer ça.

LR : Pour la comédie musicale, vois-tu la scène francophone de la même manière ?

MC : La comédie musicale en français, c’est sûr qu’il y en a juste à un endroit : au Festival Juste pour rire à Montréal. Ça fait deux ans que je me rends en ronde finale pour ces comédies musicales-là, et qu’au bout, je me fais couper. Je suis encore dans la ronde finale pour Mamma Mia qui se prépare présentement. C’est tough, parce que Montréal ce n’est pas une formule qui est idéale. Serge Postigo embauche des chanteurs, des comédiens, des danseurs qui font trois choses différentes. Donc j’ai déjà un problème avec la formule et plusieurs comédiens ont un problème avec la formule, parce que ça contredit entièrement ce que c’est la comédie musicale. Ça n’a plus cette force-là d’une comédie musicale. C’est sûr que d’avoir un contrat, ce serait le fun et c’est pour ça que j’auditionne. Mais j’avoue que c’est peut-être la dernière année où je fais ça parce qu’en quelque part, si je suis prise ça occupe trois mois de mon été. Et ça, ça entrave vraiment le projet Mari-Clo pour l’été au complet. Ce serait un choix à faire. Et je ne peux pas dire à 100% que je dirais oui. Je pense que je m’amuse plus en musique. Drôlement, c’est un univers qui est un peu plus sain. Les musiciens n’ont pas vécu l’autre côté (comédie musicale), c’est assez intense comme job. C’est très sexiste. La musique, c’est sexiste, mais la comédie musicale, le théâtre, la danse, c’est pire. Les femmes s’accompagnent moins dans cette carrière-là, c’est très compétitif. Il n’y a pas de feeling de support ni de communauté, il n’y a pas d’entraide. Tu ne partages pas des auditions sur ton Facebook, mais en musique on partage ça. Ce n’est pas comme ça dans les autres disciplines.

LR : Nous t’avons vue accompagnée de musiciens différents dans la dernière année, avoir une bonne équipe fait-il partie des obstacles lorsqu’on est artiste solo ?

MC : Au début, l’obstacle c’était de convaincre les gars de faire de la musique. J’avais vraiment une vision et j’avais pas un autre travail. Alors c’était vraiment réel de dire que c’était ça mon travail, de mettre tous mes oeufs dans le même panier. Pour mon guitariste du temps, Maxim Bourdon, c’est un père de famille, il attend un enfant, il a un emploi au gouvernement ; ce n’est pas vraisemblable de dire qu’il va faire ça on the side, au début oui, mais ça a tellement grandi le projet que ça ne se fait plus on the side, c’est un projet à temps plein en soi. C’est pour ça que ça a créé des obstacles avec les musiciens au niveau de la production, la création et la disponibilité. Ça a beaucoup changé, c’est un son qui est très complémentaire. J’ai des musiciens incroyables d’Ottawa. Ce sont des musiciens que tout le monde veut, alors je suis très chanceuse de pouvoir jouer avec eux. Le projet a un nouveau son, un son qui est plus fidèle à ce que je voulais au début. Et c’est correct, ça fait partie de l’aventure.

LR : Est-ce que le sexisme vécu en tant que femme dans l’industrie de la musique a été un obstacle dans ton cas? 

MC : Oui, ça a été un obstacle pour les micro-agressions. Par exemple, des techniciens qui s’adressent à mon guitariste plutôt qu’à moi, quand ils savent que c’est pourtant moi l’artiste, parce qu’on s’est présentés et qu’ils connaissent mon nom. Aussi, ce n’est pas une surprise, qu’on essaie toujours de dévêtir la femme et de faire en sorte que son produit soit plus sexualisé, au lieu de mettre de l’emphase sur l’oeuvre, les mots, la musique. Et évidemment, je n’ai jamais fait ce genre de chose, ça n’a pas l’air de ça. Il n’y a rien de mal avec ça, en autant que c’est voulu par l’artiste et non l’équipe de management autour. Et l’autre partie où ça se sent le sexisme, c’est avec les femmes dans l’industrie. Les femmes se jugent beaucoup et ne se permettent pas d’être elles-mêmes. Si une femme choisit de s’habiller d’une manière spécifique, ce seront beaucoup plus les femmes qui vont la juger pour ça que les hommes. Pourtant, si la femme veut porter quelque chose ou être voilée et être musicienne, il n’y a pas de mal avec ça. Elle devrait être capable.

On veut toujours contrôler ce que la femme fait. Dans le sens où on ne se fie pas à ce qui est artistique, intègre, on essaie de déterminer ce qu’elle a comme but, alors que c’est juste elle en tant qu’artiste. Je trouve que l’homme a pas à confronter ces choses-là. Et l’homme peut aussi ne pas jouer d’instrument. On dirait que pour la femme il faut qu’elle joue d’un instrument pour qu’elle soit plus crédible, sinon elle est juste une pop star. Ce que moi j’ai vécu, je suis quand même chanceuse, j’ai quand même une personnalité forte, je sais me défendre. Mais ce n’est peut-être pas le cas pour tout le monde, et c’est pour ça qu’il faut plus de mesures en place pour protéger la femme dans l’industrie.

LR : Récemment dans les médias sociaux, tu disais devoir te « cacher » pour un certain temps, peut-on espérer un nouvel album ?

MC : J’ai pas le choix d’aller me cacher, parce que sinon, l’album ne s’écrira pas. C’est ça qui est ironique, parce qu’on ne veut pas dire non à des spectacles cool, mais en même temps il faut prendre le temps d’aller écrire l’album, et de travailler avec les musiciens pour le produire et le réaliser. Tout se décale, je viens de faire le spectacle du kaléidoscope franco-ontarien avec le Mifo, je fais aussi Francofêtes en Acadie, qui se passe en début novembre. C’est la deuxième partie de la résidence artistique à Petite-Vallée en Gaspésie. Après ça, il reste la comédie musicale et je joue au congrès de l’Aefo à Toronto. Mais pour novembre et décembre, c’est non, il faut que je prenne le temps, au moins deux mois pour écrire l’album et puis c’est pendant ces mois-là que je vais faire les enregistrements.

LR : Où vois-tu le projet Mari-Clo évoluer dans les prochaines années ?

MC : C’est difficile à dire, puisque je ne connaissais même pas toutes les possibilités dans l’Ontario français. Déjà à La Brunante, je tripais, alors que c’est un petit palier. Ça n’arrête pas d’avancer et d’avancer. C’est sûr que ce que les gens oublient tout le temps c’est que je travaille comme une défoncée. Dans les médias sociaux, on voit juste des belles photos, mais il y a plus que ça qui se passe derrière. Ce n’est que ça ma vie, c’est mon emploi à temps plein. Drôlement on dit je veux être à mon propre compte, mais je suis toujours en train de travailler de 9 à 5 quand même. Pour ce qui est de l’auto-critique, on ne peut pas s’entendre nous-même, ça c’est quelque chose qui ne sera jamais facile. D’un autre produit, on peut avoir une opinion ou une interprétation, mais en ce qui me concerne, as far as I know, je pourrais être en train de créer quelque chose de mauvais et je ne le saurais même pas. C’est comme d’écrire un texte en se disant c’est pas pire, alors que quelqu’un te lit et se dit c’est super bon alors que pour toi, c’est insignifiant. C’est difficile à dire comment je me vois dans quelques années, parce qu’il y a une possibilité de Québec, du reste du Canada, il y a une possibilité que le projet continue en anglais, il y a la possibilité de l’Europe, c’est sûr que là où je veux être et là où je vais être ça pourrait ou pas être la même chose. Moi j’aimerais vraiment aller en Europe. Et si ça ne se rend pas là, c’est correct, je vis très bien en ce moment, le projet à pris de l’ampleur et je vis vraiment au jour le jour. Pour vrai.

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