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Éditorial

Faisons-nous entendre

20 janvier 2016

Par Didier Pilon

Il est grand temps que la Ville d’Ottawa devienne une ville officiellement bilingue. C’est bien cette mission que s’est donnée une coalition d’organismes communautaires et provinciaux. Leur proposition – un texte législatif bref et accessible – a été dévoilée en début janvier.

Ce texte vise à transformer la Politique de bilinguisme ­d’Ottawa en Règlement ratifié par le gouvernement provincial. Ainsi, l’accès aux services en français ne sera plus sujet au gré ou aux caprices du dernier maire élu.

Toutefois, une personne n’est pas convaincue : Jim Watson, maire d’Ottawa. L’an dernier, une pétition du RÉFO visant à reconnaître officiellement le bilinguisme d’Ottawa avait récolté des milliers de signatures. Le maire a toutefois répondu de manière univoque : « On a une politique qui marche bien. »

Toutefois, maintenant le dossier ré-ouvert, il devra se prononcer de nouveau sur la question. Il se doit d’entendre l’ensemble de la communauté et de réagir à leur demande. Mais c’est aussi aux citoyens d’Ottawa ­– francophones, anglophones ou même allophones – de se faire entendre.

Un peu de contexte

La Ville d’Ottawa, tel qu’on la connait, n’existe que depuis l’agglomération de 2001. D’anciennes municipalités bilingues, comme Orléans et Vanier, y ont alors été intégrées à la communauté urbaine officiellement unilingue.

Toutefois, la nouvelle Ville a mis en place dès lors une Politique de bilinguisme. Ce texte d’à peine 650 mots confie ainsi aux citoyens d’Ottawa « le droit de recevoir les services disponibles en anglais et en français dans l’une ou l’autre de ces langues ».

À quoi bon résister?

À en croire la littérature sur la question, il n’y a aucune dissidence : Ottawa doit être bilingue. Toutefois, dans les rues et les recoins urbains, tout citoyen n’est pas convaincu. Examinons leurs arguments :

 « Toute les francophones parlent déjà anglais! »

Cette banalité est si souvent cité qu’on cesse de la questionner. Mais en fait, des milliers de citoyen d’Ottawa ne parlent que français. À Vanier comme à Rideau-Rockcliffe, c’est plus que 5 % de la population. Plus d’un quart de ces gens – souvent âgés, souvent issue d’un groupe minoritaire – vivent dans la pauvreté. Il ne faut pas non plus négliger que plusieurs des 140 000 francophones d’Ottawa se sentent considérablement plus confortable en français.

Mais, de manière beaucoup plus importante, le simple fait de parler anglais ne nie pas son droit de parler français.

 « Ça coûtera cher à la ville! »

Le mythe que le français constitue un fardeau financier grandiose au Canada semble faire usage. Nulle part n’est-il plus inapproprié qu’ici. Le règlement n’augmenterait pas le montant de services offert en français; il garantirait leur continuation. Ainsi, ça ne coûtera pas un cent de plus.

« Ça ne changera rien alors? »

Au contraire, la proposition législative aurait deux conséquences importantes. Dans un premier temps, elle assurerait que la politique actuelle soit respectée. Présentement, il n’y a aucun mécanisme d’appel si la Ville brime les droits linguistiques. De plus, alors que le Conseil municipal peut amender ou même estomper la politique actuelle, un règlement entériné par le gouvernement provincial protégerait les services offerts et attesterait leur pérennité.

« La politique actuelle est déjà bonne! »

Mais si la politique est si efficace, pourquoi ne pas en faire un Règlement?

Un argument

Dans le débat au sujet du bilinguisme municipal, les médias font grand cas de telle ou telle lacune matérielle. Par exemple, un article dans cette édition racontera brièvement les péripéties d’une étudiante que voulait avoir accès au budget municipal préliminaire en français.

Ces histoires sont importantes dans la mesure qu’elles cataloguent des injustices quotidiennes. Toutefois, il ne faut pas négliger l’importance de la dimension symbolique du problème puisque c’est cette dimension que donne forme à l’expérience identitaire à Ottawa.

La reconnaissance est à la fois un bien psychologique et une force qui façonne notre société. Alors que certains de nos désirs sont matériels (une maison, une voiture, de la nourriture), d’autres sont purement symboliques. Nous voulons ainsi être respecté, que notre opinion soit considérée, que les gens nous trouvent drôle, beau ou intelligent.

L’absence de reconnaissance – tel que le témoigne l’histoire du colonialisme et de la discrimination systémique – a des effets néfastes sur les individus et les groupes identitaires qui se traduisent souvent en inégalité matérielle. C’est dans cette optique que Charles Taylor affirme que la reconnaissance est « un besoin vital ».

En bref, la méreconnaissance est un jugement de valeur : cette culture est moins importante; cette culture est inférieure. Ce discours implicite est intériorisé par les citoyens, tant les membres de la culture majoritaire que les membres des groupes minoritaires. De ce fait, un traitement inégal des minorités s’infiltre dans d’autres sphères et ces individus « apprennent leur place ».

Comment contrer cette dynamique? Il faut lutter pour l’affirmation des identités minoritaires. Signons la pétition du RÉFO. Manifestons-nous sur les médias sociaux. Écrivons aux médias et au bureau du maire. Bref, faisons-nous entendre.

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