– Par Sara Pedroso –
La légère brise automnale et le sol jonché de feuilles semblent créer une parfaite ambiance pour une petite visite à la galerie hulloise Axénéo7, située sur les bords du ruisseau de la Brasserie. Cette charmante galerie, fondée en 1983 et située dans une ancienne manufacture de textiles, est un centre d’artistes autogéré orienté vers le renouvellement du langage visuel et ayant comme mandat de tisser des liens intergénérationnels et interdisciplinaires, tout en interrogeant les espaces traditionnels.
L’exposition AmourAnarchie met en évidence le lien étroit entre l’amour et l’anarchie, selon différents degrés et facettes. Regroupant et mettant en dialogue les œuvres de Jean-Luc Verna, Mathieu Beauséjour, Renée Gagnon, Diane Borsato, Manon De Boer, Mark Clintberg, Nicolaj Dudek et Vincent Leduc, on dégage de cette exposition une essence de nature collective, évoquant une mise en commun des voix de la solidarité ainsi qu’un refus de soumission au statu quo.
L’être et la collectivité
Dès l’entrée de l’exposition, une série énumérative de mots découlant de la formule « être gouverné c’est… » s’affichent sur le mur, ainsi qu’une citation du philosophe P-J. Proudhon, dénonçant l’Autorité avec un grand A. Au croisement de l’amour et de l’anarchie, les mots sont d’une importance fondamentale. L’absurdité de la guerre est mise en évidence par l’affichage de quelques lettres postales pacifistes datant de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale. Ces messages, à la fois d’espoir et de crainte, témoignent d’un réel souci en ce qui concerne la postérité de l’humanité. Au milieu de l’une des salles d’exposition on tombe sur un mystérieux tourne-disque soutenant un disque vinyle noir, qui s’avère être une compilation de chansons intitulées « Amour, Anarchie… l’un dans l’autre », où l’on peut écouter des œuvres musicales d’artistes tels que Jane Birkin, France Gall et Marie Laforêt. Parmi les œuvres, l’on retrouve une curieuse installation de drapeaux noirs et d’une cymbale : « La conjuration des rêves ». On retrouve également deux larges peintures de l’artiste Jean-Luc Verna, dont « Paramour », qui semble parodier l’emblème de la colossale société de production cinématographique étatsunienne. Nous retrouvons aussi, entre autres, une installation audiovisuelle mettant en vedette la défunte Sylvia Kristel et ses débuts à Paris, ainsi que deux grandes photographies nues de l’artiste tatouée Verna.
Anarchisme, théorie philosophico-politique de l’amour
L’anarchisme est un concept philosophique entaché de mécompréhension et identifié à tort comme un excès de passion et de violence. Cet méconnaissance générale à l’égard de l’anarchisme n’est pas une coïncidence; cette théorie, observant avec inquiétude l’exacerbation de l’inégalité par la juridicisation de tous les domaines de la vie, dénonce les véritables ennemis de la population : l’État, les régimes légaux manichéens distinguant les vies dignes d’être vécues de celles qui ne le sont pas; les institutions réaffirmant violemment les structures hiérarchiques oppressives patriarcales et hétéronormatives; la glorification de la guerre, et l’oubli des groupes vulnérables dans la société. En réalité, l’anarchisme prône une conscientisation des structures qui sont à la base de ces inégalités en reconnaissant une valeur et une égalité fondamentale entre tous les êtres humains. L’anarchisme refuse la paresse intellectuelle et, tout comme l’amour, nécessite un engagement fondamental de soi avec l’autre : « L’amoureux réfute la domination, au même titre que l’anarchiste refuse le pouvoir ou le commandement ». Ne s’agit-il donc pas d’une philosophie de l’amour de l’être, et une haine de tout ce qui y fait violence?
L’engagement est ainsi le fil conducteur de l’amour, de l’anarchie et de la création artistique. Dans le dépliant de l’exposition, on peut lire : « En trouvant ces deux mots chez Léo Ferré – AmourAnarchie –, j’y ai trouvé une sorte d’engagement fondamental de soi avec les autres : envers une personne à travers la figure de l’amour, et envers un groupe à travers la figure de l’anarchie ».