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Évolution de la situation à Fukushima : « Les médias passent à autre chose »

2 Décembre 2013

– Par Sara Ghalia et Marc-André Bonneau –

Deux ans après le séisme et le tsunami qui ont détruit plusieurs réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima, une première tentative de retirer le combustible a pris place lors des dernières semaines.

Tentative de retirer le combustible

Tokyo Electric Power (TEPCO), l’entreprise en charge de la station, a annoncé qu’elle tenterait de retirer le combustible nucléaire qui est toujours présent dans le réacteur. Cette opération est considérée comme cruciale dans l’opération de nettoyage des dégâts, qui est estimée à ce jour à 50 milliards de dollars. TEPCO a commencé le 18 novembre dernier avec l’extraction de 22 assemblages de combustibles à partir du réacteur 4, le moins touché par la catastrophe de 2011.

Le retrait de combustibles est une tâche habituellement banale pour les employés de l’usine. Toutefois, c’est la première fois que ces derniers tenteront l’opération dans un environnement accidenté. Cette opération est jugée comme la plus délicate depuis les premières initiatives mises en place pour la stabilisation de la centrale et pour son démantèlement.

Les impacts de la radiation

Paul Beckwith, doctorant au Département de géographie de l’Université d’Ottawa, a expliqué que la radiation ne provenait pas seulement des réacteurs, mais aussi de la matière radioactive entreposée à proximité. Les conséquences de la radiation ne touchent pas seulement l’environnement naturel. La peur de la radiation et l’isolement touchent les 210 000 évacués qui ont été forcés de fuir la zone où la radiation était plus élevée.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les individus qui vivaient à proximité de la centrale et qui ont été exposés en tant que nourrisson risquent d’en souffrir. La prévalence d’être atteint du cancer du sein a augmenté de 6 % pour les individus de sexe féminin. Pour les individus de sexe masculin, il est estimé que la prévalence de la leucémie ait augmenté de 7 %. Les 167 travailleurs qui ont été sur le site de la catastrophe immédiatement après l’incident ont aussi des chances accrues de souffrir du cancer suite à leur exposition à la radiation. Les communautés qui vivent de la pêche vont souffrir pendant longtemps des impacts de la contamination des espèces marines. D’ailleurs, en septembre 2013, la Corée du Sud a annoncé qu’elle interdisait tous les produits maritimes venant de la préfecture de Fukushima, craignant les conséquences de l’eau radioactive sur la santé de la population sud-coréenne.

M. Beckwith a expliqué que cette façon de faire est similaire à ce qu’on peut retrouver au Canada, où l’industrie lutte pour trouver un endroit qui est convenable à l’entreposage de combustibles nucléaires. « Pendant des années, plusieurs ont discuté des éventualités de placer ces déchets dans le Bouclier canadien, […] mais des études d’impacts environnementales ont démontré que la substance ne va pas rester à l’endroit initial. Après des milliers d’années, l’eau va probablement interagir avec ces substances », explique-t-il.

Les conséquences de la radiation nucléaire sur la faune et la flore demeurent à étudier. M. Beckwith a avancé que plusieurs études ont démontré que le niveau de phytoplanctons dans l’océan a subi des changements importants après l’incident. Toutefois, selon lui, une multitude de causes peuvent être associées à ces modifications, telles que les changements climatiques. Plusieurs explications possibles doivent être considérées. Le candidat au doctorat a rappelé qu’il est nécessaire de demeurer dubitatif devant certaines hypothèses. « Lorsque je lis des articles qui présentent que la radiation a causé une zone morte dans le pacifique, je demeure sceptique, puisque je pense que plusieurs facteurs peuvent mettre en danger les océans, et que la radiation n’est qu’un facteur additionnel. »

Des risques toujours présents

M. Beckwith a expliqué que « plusieurs sites d’exploitation doivent entreposer ces matières dans des réservoirs à proximité du site du réacteur. Le problème avec Fukushima, c’est que ces réservoirs sont situés au-dessous du niveau du sol. Si les murs défaillent, l’eau s’écoule. C’est complètement insensé. » Depuis août 2013, plusieurs fuites d’eau ont été confirmées par TEPCO, avec un taux de radiation bien plus élevé que la moyenne. Ceci dit, ces fuites avaient été observées par des scientifiques pendant plus d’un an.

D’autres risques sont à prendre en compte, d’après M. Beckwith. Ce dernier a souligné qu’« un autre problème avec le nucléaire est qu’il y a très peu de standardisation. Chaque pays a son propre modèle de réacteur », ce qui rend la prise de décision après les catastrophes plus difficile. Bien que la catastrophe de Fukushima ait été comparée au désastre de Chernobyl, les opérations mises en place après la destruction des réacteurs sont différentes et, dans le cas japonais, fortement critiquées par plusieurs scientifiques par rapport à la lenteur des changements et des initiatives de l’entreprise gérante et du gouvernement. L’une des solutions de TEPCO contre la fuite de l’eau radioactive est la création d’une barrière souterraine autour de la centrale en gelant le sol. Néanmoins, cette solution n’est pas durable sur le long terme.

M. Beckwith a aussi insisté sur l’importance du changement climatique et des événements climatiques extrêmes, notamment dans les régions plus sensibles aux catastrophes naturelles. Si les conséquences directes du séisme et du tsunami de mars 2011 étaient déjà très graves, avec plus de 18 000 morts et disparus, les problèmes engendrés par la catastrophe des réacteurs de Fukushima sont encore la source d’un débat important vis-à-vis le danger des centrales nucléaires et la possibilité de les remplacer par des sources d’énergies renouvelables. M. Beckwith a fait remarquer qu’« ironiquement, après l’explosion, ce sont des éoliennes qui ont fourni l’unique électricité dont certaines régions avaient besoin. »

Il a par ailleurs estimé que, vu les coûts exorbitants liés au nettoyage, au démantèlement des réacteurs, et autres observés au Japon, « les sommes établies par le gouvernement canadien dans le cas d’un incident nucléaire […] sont définitivement [sic] trop faibles ».

Le silence médiatique

« Les médias passent à autre chose, et c’est difficile d’avoir un suivi », a déclaré M. Beckwith. Bien que le séisme ait fait la manchette des actualités internationales après l’événement, la pollution qui découle du site demeure, même si cet événement est maintenant effacé du souci collectif.

Selon M. Beckwith, l’information a été plus difficilement accessible puisque le site est opéré par une compagnie privée. « C’est ce qui arrive lorsqu’on dépend d’une corporation, telle que TEPCO, qui est propriétaire de la centrale. Ils sont responsables du nettoyage, cela a du sens que s’ils découvrent des choses, ils ne vont pas les divulguer publiquement. Ce serait comme s’ils se tiraient dans le pied », affirme-t-il. Dans ce contexte, les soucis financiers et environnementaux forment les bases d’un choix qui est rarement à l’avantage des écosystèmes.

Le candidat au doctorat s’est aussi montré révolté devant le manque de liberté d’expression qui pèse sur la recherche scientifique. « Les scientifiques veulent que le monde connaisse ce qui se passe. Mais certains réalisent que s’ils publient cette information, certains peuvent perdre leur emploi. Je dévie vers d’autres sujets, mais je pense qu’ils sont tous reliés à Fukushima », confie t-il.

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