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Éditorial

Étudiant.e.s internationaux.ales : la poule aux oeufs d’or de l’Université d’Ottawa

Crédit visuel : Camille Cottais — Rédactrice en chef

Éditorial rédigé par Camille Cottais — Rédactrice en chef

Chaque année en mai ou juin, nous y avons droit : une nouvelle augmentation des frais de scolarité. C’est devenu tellement banal que nous ne nous en indignons même plus. Encore moins quand ce sont les étudiant.e.s internationaux.ales qui sont en première ligne…

Fin mai, le Bureau des gouverneurs de l’Université d’Ottawa (U d’O) a fixé les droits universitaires pour l’année académique à venir. Résultat ? Une augmentation de 4,5 % pour les étudiant.e.s internationaux.ales de troisième année ou plus, de 7,5 % pour les Ontarien.ne.s inscrit.e.s dans un programme de premier cycle dans les Facultés de génie, de droit (Common Law) et de gestion Telfer, et enfin de 5 % pour les Canadien.ne.s résidant hors de l’Ontario suivant un programme de maîtrise.

Certes, cela peut paraître moins élevé que les augmentations rocambolesques de l’année dernière. Pour rappel, elles atteignaient 12 % pour les étudiant.e.s internationaux.ales nouvellement inscrit.e.s. Quant à l’année 2022-2023, nous avions eu le droit à une augmentation de 5 à 7 % selon les catégories d’étudiant.e.s. Mais si on y regarde de plus près, on remarque que les étudiant.e.s qui avaient échappé à la hausse des frais de scolarité l’an dernier sont ciblé.e.s cette année, et inversement. C’est comme si l’Université avait décidé d’augmenter les frais de scolarité en « deux fois » pour limiter les contestations. Et cela semble marcher…

Surtout, pour les étudiant.e.s canadien.ne.s, l’Université est freinée par les directives gouvernementales, tandis que, comme elle le rappelle, « l’établissement des droits pour les étudiantes et étudiants internationaux n’est pas réglementé ». Encore une fois, ce sont donc nous, les étudiant.e.s internationaux.ales, qui payons le prix fort.

Un manque criant de transparence

Vous n’étiez pas au courant de cette augmentation ? C’est normal, l’Université fait tout pour éviter que nous le sachions. Dans son courriel extrêmement vague envoyé aux étudiant.e.s le 30 mai dernier, il est seulement mentionné que « le Bureau des gouverneurs a fixé les droits universitaires pour l’année 2024-2025 », sans faire une seule fois mention d’une augmentation. Un hyperlien est inclus pour soi-disant se renseigner sur les « changements à venir », mais il renvoie à la page générique sur les droits universitaires. Il faut ensuite chercher longuement à travers les onglets du site web pour finir par trouver l’information désirée, et là encore, elle est présentée de la manière la plus ambigüe possible.

En plus de ce véritable manque de transparence de la part de l’administration uottavienne, nous n’avons pas entendu le Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO), l’Association des étudiant.es diplômé.e.s (GSAÉD) ou encore le Syndicat des étudiant.e.s employé.e.s de l’Université d’Ottawa (SCFP-CUPE 2626) s’indigner. Est-ce parce que l’augmentation de l’an dernier était telle que nous sommes rassuré.e.s en comparaison ? Est-ce parce que les principaux.ales concerné.e.s sont les étudiant.e.s internationaux.ales, qui passent souvent sous le radar des associations et syndicats ? Ou est-ce parce que la stratégie de dissimulation de l’information qui semble avoir été adoptée par l’Université porte ses fruits ?

En tout cas, une chose est certaine : l’Université d’Ottawa est devenue une entreprise, qui a depuis longtemps négligé sa mission d’éducateur. Pour justifier les augmentations, c’est d’ailleurs toujours la même histoire : l’Université ferait face à une crise financière, il faudrait se serrer les coudes, augmenter les frais pour garantir un enseignement de qualité, bla-bla-bla… Si l’on creuse au-delà de ce baratin, on se rend pourtant compte que chaque année, l’Université annonce un surplus financier de plusieurs dizaines de milliers de dollars, qu’elle préfère réinvestir dans la construction de bâtiments plutôt que dans l’aide aux étudiant.e.s, comme le montre notamment le budget 2023-2024. Priorité aux bâtiments, pas aux étudiant.e.s.

Ce budget montre également que la hausse des frais de scolarité de l’an dernier permettrait à l’Université de gagner la somme vertigineuse de 56 millions de dollars. À cela s’ajoute la suppression de la bourse au mérite en mai 2022, permettant à l’Université de gagner 6 à 13 millions de dollars supplémentaires selon le même document. Bref, les priorités de l’U d’O sont on ne peut plus claires : se remplir les poches, sur le dos des étudiant.e.s.

Double peine pour les étudiant.e.s internationaux.ales

L’Université se moque de tou.te.s les étudiant.e.s, mais particulièrement des étudiant.e.s internationaux.ales, et encore plus précisément des étudiant.e.s internationaux.ales francophones, pour lesquel.le.s le système d’exonération partielle des frais de scolarité ne cesse de se détériorer depuis 2021. Nos ami.e.s anglophones n’ont même pas cette chance : leurs droits de scolarité sont en moyenne 6 à 7 fois plus élevés que ceux des étudiant.e.s canadien.ne.s.

Notons par ailleurs que l’augmentation des frais de scolarité s’applique avant les bourses. Cela a son importance, car l’augmentation est en réalité de bien plus que de 4,5 %. Par exemple, un.e étudiant.e débutant sa troisième année en sciences sociales bénéficiant de la bourse d’exonération va voir sa facture passer de 7 200,24 à 8 131,75 dollars par semestre, soit une augmentation d’environ 13 % au montant payé !

Pour les étudiant.e.s internationaux.ales en maîtrise, les fonds ont là aussi été coupés dans les dernières années. La bourse d’admission, qui permettait de recevoir 15 000 dollars par année sous forme d’aide financière et d’assistanats d’enseignement, n’est en effet plus du tout offerte à celles et ceux qui n’ont pas la nationalité canadienne ni la résidence permanente, et son montant a été coupé de moitié. Nous n’exagérons donc pas en affirmant que l’Université d’Ottawa a abandonné ses étudiant.e.s internationaux.ales.

Étudiant.e.s internationaux.ales, espèce bientôt en voie d’extinction ?

Ajouté au prix exorbitant des loyers à Sandy Hills et à l’augmentation incessante du coût du panier d’épicerie, il est certain qu’Ottawa n’est plus depuis longtemps une destination accessible pour les étudiant.e.s internationaux.ales. Si l’Université et les gouvernements ne font rien pour y remédier, ces dernier.e.s pourraient sur le long terme préférer étudier dans une autre université, une autre province, voire un autre pays.

La plupart des étudiant.e.s francophones de l’U d’O proviennent du Québec ou de l’extérieur du Canada. C’est donc également la place de la francophonie dans l’institution qui est en jeu. C’est une bonne chose d’instaurer un vice-rectorat international et francophonie, de moderniser le règlement sur le bilinguisme, ou de publier des rapports sur la francophonie, mais est-ce que ces actions auront vraiment un impact si l’inabordabilité des frais de scolarité n’est pas adressée ?

Bien sûr, ce n’est pas un enjeu auquel l’U d’O peut répondre seule. Il est regrettable que le gouvernement canadien ait établi un plafond sur le nombre d’étudiant.e.s internationaux.ales accueillis au Canada, et on ne peut que déplorer le manque de subventions du gouvernement de l’Ontario envers les institutions postsecondaires. Mais l’Université doit soutenir cette population universitaire, celle qui lui rapporte le plus d’argent, et celle qui en a assez de se faire exploiter sans limites. L’Université d’Ottawa doit réaliser que la poule aux œufs d’or ne pond pas indéfiniment.

L’Université d’Ottawa n’a pas souhaité répondre à nos questions.

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