Par Frédéric Lanouette

Figeons l’univers un instant, pour quelques secondes. Sur Terre, sept milliards d’existences sont suspendues dans une perfection presque divine tandis que l’amour, la douleur, le désir et la cupidité cessent d’exister, faute de mouvement. Le marché de Rabat, comme tout le reste, est muet. « De l’huile contre les moustiques? 100 dirhams la fiole! », avait lancé l’homme, de son échoppe, avant que le temps ne s’épaississe. À quelques pas de là, devant de petites pyramides d’épices, une femme le fixait. 

Étrangers de A à Z, de l’auteur Daniel Castillo Durante, c’est un peu comme ce marché, fébrile, multivocal, pulsant d’une vie faite de transactions et de cris étouffés par la voix d’inconnus. Tout ça en 125 pages, tout ça couché pour nous sur du papier. Les quelques récits, ne dépassant jamais deux pages, présentent la vie dans toute sa radicalité : l’autre vient d’ailleurs, sévit là où roulent les dirhams, est né à Montréal, est blanc, est peintre, est femme, est mort.

Comme pour un marché, on peut entrer dans l’œuvre par n’importe où. Si on passe sous l’arche principale, avec les masses de touristes, on se retrouve à Puerto Vallarta, puis à Lima, pour aboutir dans un loft à Panama City. Si on explore les ruelles qui longent l’œuvre, on peut entendre les autos de Montréal, voir les désillusions de Cuzco et explorer les Andes avec un fils et sa mère. Finalement, si on part au hasard, sans guide, sans logique, on aboutit entre deux étales, de la fumée dans les yeux, une barre de chocolat aux amandes D’Onofrio dans une main et un rubis sang de pigeon dans l’autre.

Castillo Durante, professeur de littérature française à l’Université d’Ottawa, nous propose ici un recueil de microrécits qui aborde un large spectre de l’expérience humaine et qui critique l’interrelationnel et le consumérisme avec nuance et répartie. En somme, Étrangers de A à Z est une œuvre complète et éclairante qu’il faut lire en prenant bien son temps, histoire de ne pas manquer d’acquérir quelques merveilles avant que les marchands ne plient bagage.