
Patrick Lagacé: « J’ai accepté que mon métier allait toujours susciter une relation amour haine avec le public »
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Par Yasmine Mehdi
Entrevue
Il était de passage sur la colline du Parlement le 16 novembre dernier, afin de demander au gouvernement Trudeau de mieux protéger la liberté de la presse. Si les dernières semaines ont été particulièrement riches en évènements pour le journaliste Patrick Lagacé, celui-ci a tout de même trouvé un moment afin d’accorder une entrevue à La Rotonde, le journal étudiant où il a commencé sa carrière entre 1991 et 1995. Pour rappel, Lagacé s’est retrouvé au cœur d’une véritable tempête médiatique après avoir appris que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) l’avait espionné pendant de nombreux mois afin de tenter de découvrir l’identité d’une de ses sources. Entretien.
La Rotonde : Après qu’un collègue vous ait mis la puce à l’oreille quant au fait que vous étiez une personne d’intérêt dans un dossier du SPVM, les avocats de La Presse ont entrepris des démarches et ont appris que le SPVM avait demandé 24 mandats de surveillance à votre endroit, entre janvier et juillet 2016. On réagit comment quand on apprend qu’on s’est fait espionner?
Patrick Lagacé : On lâche un gros juron québécois. Je ne m’attendais pas à ça. Enfin, je ne croyais pas que les journalistes échappaient à l’interception de données ou à la surveillance policière, mais, je pensais que si on allait me mettre sous écoute, ce serait pour un cas de sécurité nationale, de terrorisme ou de mort imminente, pas pour une vulgaire affaire de « Qui a parlé au journaliste? » La colère venait de là. Je croyais vraiment que, si on présentait une telle demande à un juge, il partirait à rire et renverrait les policiers, mais ça n’a pas été le cas.
LR : Tout de suite, la sphère médiatique s’est insurgée: on ne pouvait plus allumer la télévision sans entendre parler de « L’affaire Lagacé ». Qu’est-ce que ça vous a fait de vous retrouver de l’autre côté du micro?
PL : Il faut dire que je suis habitué à donner des entrevues à la télévision. Si j’avais été un journaliste de l’écrit, il y aurait probablement eu un choc, mais ça n’a pas été le cas. Parallèlement, c’était bizarre de devenir l’histoire. Ça ne m’était jamais arrivé, jamais à ce niveau d’intensité. Physiquement, mentalement, ça a été un défi. J’ai quand même décidé de capitaliser là-dessus, parce que c’était une bonne visibilité pour parler de liberté de la presse à des gens qui ne travaillent pas dans les médias, pour faire passer le message que ce ne sont pas seulement des enjeux de journalistes.
LR : On a souvent l’impression que les personnes qui militent pour la liberté de la presse sont celles qui travaillent dans les médias. Pourquoi est-ce que le grand public devrait s’en soucier?
PL : Généralement, je crois que ceux qui sont les plus directement concernés par la défense de la liberté de presse sont ceux qui l’exercent. Par contre, ce que j’ai constaté, et qui a été très réjouissant dans mon cas, c’est que les débats sur la liberté de la presse, qui font l’objet de discussions entre journalistes, pour une rare fois, ont trouvé un public beaucoup plus large. À son meilleur, le journalisme, c’est de dire des choses que des personnes ne voudraient pas voir dites sur la place publique. Si les journalistes ne peuvent pas parler à des sources, si on traque les sources des journalistes avec des moyens d’enquête criminelle, si ça devient la norme, on devra tous se fier aux communiqués de presse pour mener des débats publics, et ça va créer des débats assez stériles.
LR : Paradoxalement, une partie de la population ressent un fort sentiment de méfiance à l’endroit des médias. À votre avis, pourquoi?
PL : J’ai accepté que mon métier allait toujours susciter une relation amour haine avec le public. C’est sûr que l’infirmière aura toujours meilleure presse, et avec raison. La fois où on rencontre une infirmière, c’est quand on est malade et qu’elle s’occupe de nous. Quand on consomme le travail des journalistes, on le consomme de plusieurs façons à plusieurs moments, et on n’est pas nécessairement d’accord avec eux. Tant mieux si, de temps en temps, les gens se rappellent que c’est un métier important. Je pense que la saga des nombreux journalistes espionnés est un exemple de cette affection ponctuelle.
LR : Si vous êtes aujourd’hui devenu un des visages de la liberté de la presse, comment en êtes-vous venu à travailler dans les médias?
PL : J’ai toujours voulu être journaliste, même ti-cul. À l’Université, j’ai commencé ma carrière en m’expliquant à La Rotonde. Mes souvenirs de La Rotonde sont excellents parce que je me suis fait des amis qui sont toujours dans ma vie et que j’ai appris mon métier sur le tas. On foutait un peu le bordel avec nos papiers, nos coups de gueule, nos petites enquêtes. De 1991 à 1995, c’était vraiment une période fantastique pour moi, j’en garde un excellent souvenir. Pour moi, le journalisme étudiant fait partie du journalisme. Sur le campus, les médias étudiants sont ce que les autres médias sont, c’est-à-dire un contrepoids aux différents pouvoirs ; un journal étudiant enquête d’une façon que la publication officielle de l’Université ne fait pas.
LR : Qu’est-ce qui vous manque du journalisme étudiant? Y a-t-il des choses que vous pouviez vous permettre de publier dans La Rotonde et pas dans La Presse?
PL : Ce que je publiais à l’époque que je n’aurais pas publié dans La Presse, ça aurait peut-être été une meilleure idée de ne pas le publier du tout (rires). Je me rappelle avoir été poursuivi en diffamation lorsque j’étais à La Rotonde pour m’être moqué de quelqu’un de façon assez raide. C’est probablement le genre de papier que mon patron à La Presse m’aurait suggéré de réécrire. Ce qui me manque par contre, c’est l’extrême esprit de camaraderie, le caractère brouillon de nos vies à l’époque, qui est en réalité tout le charme de la vie sur un campus. Je crois que cette période a été nécessaire à ma construction personnelle comme professionnelle.