Crédit visuel; Sarah Scott
Par Clémence Roy-Darisse – Cheffe du pupitre Arts et culture
Qu’est-ce que l’art-thérapie ? Pour répondre à cette question, La Rotonde rencontre Daphnée Vachon, art-thérapeute travaillant avec une clientèle adulte en pratique privée sur une multitude de problématiques, en soins palliatifs pour des personnes en fin de vie ou endeuillées ainsi qu’avec des personnes ayant des déficiences intellectuelles avec l’Association pour l’intégration sociale d’Ottawa (AISO).
La Rotonde (LR) : Pouvez-vous présenter votre parcours ?
Daphnée Vachon (DV) : Lorsque j’étais plus jeune, j’hésitais entre vouloir devenir prof d’arts plastiques ou psychologue […]. Suite à un bac spécialisé en enseignement des arts, j’ai commencé sur le marché du travail comme prof d’arts pendant quelques années. Toutefois, j’ai réalisé rapidement que le contact significatif que je cherchais avec l’humain à travers l’art était très difficile à établir [dans un tel contexte].
Je suis donc retournée sur les bancs d’école pour poursuivre mes études en psychologie et faire ma maîtrise en art-thérapie. De retour sur le marché du travail, j’ai développé une spécialité d’accompagnement en agressions sexuelles en collaboration avec le CALACS (Centre d’aide et de lutte contre les agressions sexuelles).
LR : Pourquoi avoir choisi l’art-thérapie ? Qu’est-ce qui vous a poussé à ce parcours-là ?
DV : J’ai choisi l’art-thérapie parce que je trouve que cette approche réussit à explorer des aspects de nous qui ne sont pas atteignables lorsqu’on utilise seulement les mots. Certaines blessures, souffrances ou même émotions ou sensations agréables se décrivent plus efficacement en couleurs, en mouvements ou en lignes dans leur intensité […].
De plus, le fait de pouvoir laisser des traces concrètes de son processus et de ses explorations amène souvent beaucoup d’espoir et de motivation à poursuivre puisqu’on peut voir concrètement l’évolution […]. Sur une note plus personnelle, c’est l’art-thérapie qui a [aussi] réussit à atteindre pour moi des parties qui n’étaient pas accessibles, même après plusieurs années de thérapie verbale pour gérer un ESPT (état de stress post-traumatique).
LR : Pouvez-vous nous résumer cette pratique en quelques phrases ?
DV : L’art-thérapie est une forme de relation d’aide ou de psychothérapie, […] [reliant] la psychologie et l’expression artistique, par le dessin, la peinture, la sculpture, le collage et la photo […]. [Elle permet de] s’exprimer autrement que par des mots, […] d’aller au delà des mots ou plus profondément [qu’eux] […]. Ce n’est pas le produit fini qui est important, mais le processus de création […] Lorsqu’on parle d’art-thérapie, on parle généralement d’arts visuels.
LR : Pourriez-vous décrire une session type ?
DV : Une session en individuel est une durée habituelle de 60 minutes […]. De façon générale, les premiers 10-15 minutes sont pour nommer/expliquer verbalement les situations, préoccupations, émotions, sensations qui préoccupent [le patient]. On travaille ici avec la tête et le cœur.
Ensuite vient le moment de mettre les mots de côté et de laisser parler les mains et les gestes créateurs. Ceux-ci sont invités à représenter le plus fidèlement les sensations et/ou émotions présentes […]. La personne ne sait pas toujours à quoi va ressembler sa création et c’est ok. Il est plutôt rare que l’on se demande […] quelles couleurs et quelles textures représenteraient adéquatement le vide que l’on ressent à l’intérieur ou quel animal pourrait incarner la panique que l’on ressent lors d’une crise d’anxiété.
À partir de la première création [qui peut être guidée par l’art-thérapeute au besoin], il y a souvent [d’autres] productions qui sont faites pour préciser, amplifier, mieux comprendre, faire parler une partie de la création. Ici, le cœur et le corps sont les points de repères et l’art-thérapeute […] observe aussi bien les créations que comment le corps de la personne réagit à celles-ci.
Des introspections sont faites, des questionnements pour la suite sont énoncés, des prises de consciences sont intégrées et on referme la boucle avec une meilleure compréhension de nous-même.
LR : Quels sont les principaux bénéfices de l’art-thérapie ?
DV : Les bénéfices de cette approche sont nombreux mais j’en souligne ici le principal à mon avis. En art-thérapie, il y a une part importante de jeu et de ludique, [la] personne s’exprime avec moins de retenue que si elle avait à décrire verbalement ou logiquement une situation problématique.
La créativité [permet de] se laisser aller plus facilement à ce qui n’a pas un sens déjà complet ou compris […]. Même dans des situations qui semblent, à première vue, impossible à adresser avec le « jeu » de la création, telles que les agressions sexuelles, la fin de vie, l’épuisement ou le deuil, il est très stimulant et riche de sens de les explorer d’un tout autre angle, tout en reconnaissant l’intensité de la souffrance.
LR : Quelles sont les principales recherches en ce moment en art-thérapie ?
DV : Depuis les dernières années, il y a des avancées importantes au niveau des neurosciences où on peut maintenant voir concrètement les réactions du cerveau qui nous étaient auparavant invisibles.
Avant, on se contentait presque de dire ; « on croit et on sent que l’art fait du bien et peut soulager des détresses, mais on ne sait pas comment et nous n’avons pas de preuves ». Maintenant, il y a davantage de recherches […] [qui décrivent] comment la plasticité du cerveau peut être influencée par des approches comme l’art-thérapie.
Nous savions depuis longtemps que les mots n’étaient pas accessibles dans certaines circonstances traumatiques mais maintenant les preuves le confirment et valident les approches moins verbales qui font le travail autrement. Encore beaucoup de travail sera nécessaire pour que l’art-thérapie soit démystifiée et prise davantage au sérieux pour sa contribution à la santé mentale mais au moins, nous allons dans la bonne direction.
Dans le futur, les associations d’art-thérapeutes au Canada souhaiteraient que les services soient davantage reconnus pour être éventuellement plus accessibles à la population, enfants comme adultes.