Entretien avec Herménégilde Chiasson : Jargonner comme on l’entend
– Par Didier Pilon –
À l’occasion de la journée internationale de la francophonie, le Collège des Chaires de la francophonie canadienne de l’Université d’Ottawa a invité Herménégilde Chiasson à donner une conférence qui a pour thème les francophonies plurielles.
Lors de sa conférence, l’honorable Chiasson – poète, réalisateur, dramaturge, professeur, peintre, 29e Lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, etc. – a exploré 26 concepts, un pour chaque lettre de l’alphabet. L’essai s’est lu comme un hybride de philosophie et de poésie qui dévoile et explore les tensions qui marquent le fait vécu des francophones minoritaires. Toutefois, le discours a tenté de s’abstenir de jugements moraux. Par exemple, l’honorable poète a parcouru le dualisme entre le purisme prescriptif de l’Académie française et l’évolution de l’usage courant, sans dénoncer ni appuyer l’un ou l’autre.
La Rotonde : Pouvez-vous nous résumer le thème de votre présentation?
Herménégilde Chiasson : Ça a tourné principalement autour de deux choses. On [les francophones] est un peu excentriques par rapport au fait que les institutions qui régissent notre langue sont extérieures de nous. Aussi, c’était un peu un désamorçage de l’idée du combat, et essayer de mettre de l’avant la pulsion de plaisir. […] Et en même temps, il y avait des moments de déclaration d’amour à la langue française.
LR : J’aimerais bien retourner à une citation de votre conférence lors de laquelle vous mentionniez « un système en dehors de la vie ». Pouvez-vous élaborer sur ce concept?
HC : C’est l’idée qu’en tant que francophone, on va souvent concevoir des systèmes et des classifications, mais la vie n’est pas faite comme ça. La vie nous échappe par tous bords, tous côtés, et l’idée serait de faire face à chaque situation de façon autonome. Comme je mentionnais, en tant que francophone, on va déterminer le code de loi d’après des experts, alors que chez les anglophones c’est d’après les jugements. J’ai l’impression que ces approches différentes à la loi se répercutent dans plein d’autres choses.
Par contre, il y a chez toutes les cultures protocolaires, comme la société française, le Japon ou la Chine, on développe toujours une grande cuisine. C’est comme si, pour balancer ce système de classement et de rigidité, on a besoin d’une sensualité qui nous ramène à notre corps et au bonheur de vivre.
LR : Pour finir, avez-vous un conseil aux étudiants francophones qui veulent vivre leur francophonie?
HC : Moi je pense qu’il faut miser sur le fait que c’est plaisant d’être francophone. On a une culture qui est sophistiquée et qui peut nous amener partout dans le monde, qui est un esprit extrêmement ouvert et extrêmement critique et qui est, d’après, une des grandes aventures de l’humanité. […] Lorsque je regarde TV5, je suis toujours fasciné par tous les endroits où le français a une résonance. Comme je le dis souvent à mes étudiants, le français c’est un outil. […] Le moment qu’on peut le maîtriser, c’est une porte qui s’ouvre sur le monde entier.