
Doutez des conventions du marketing: Une campagne publicitaire qui défit les conventions
Par Clémence Labasse
« Défiez les conventions : un aperçu de ce qu’est vraiment l’Université d’Ottawa » affirmait en octobre 2014 l’administration dans son bulletin. En effet, la campagne marketing de 2 millions de dollars révèle un visage, mais peut-être pas celui que l’ancienne « université canadienne » voudrait montrer ; le visage d’une université brouillonne dans ses décisions, secrète dans ses méthodes, incertaine dans ses résultats.
« L’université canadienne », ringarde et dépassée
L’Université est malheureuse avec ses slogans. Il y a douze ans, l’Université d’Ottawa (U d’O) se définissait comme « l’université canadienne ». Cette ancienne devise, inconnue de la plupart, la risée de certains, était depuis longtemps périmée.
Pour Guprit S. Kindra, professeur en marketing à l’école de gestion Telfer, le slogan n’avait « aucun sens, autant en français qu’en anglais. Ce n’était pas seulement grammaticalement incorrect, ce slogan était tout simplement débile. C’était une telle blague que je m’en moquais ouvertement dans mes cours. »
TAXI : « doutez du conventionnel » et de l’originalité des slogans
L’annonce du renouveau de l’approche marketing de l’institution est donc venue comme une excellente nouvelle pour la communauté universitaire.
Il y a deux ans, l’U d’O a lancé un appel d’offres aux agences publicitaires d’à travers le pays. Après sept propositions et un long processus de sélection, le choix de l’Université s’est finalement porté sur une agence montréalaise : TAXI.
« L’agence TAXI nous correspondait parfaitement dans son approche », explique Patrick Charrette, directeur des communications institutionnelles de l’U d’O.
Et de fait, l’approche de l’agence était tellement conforme à celle de l’Université que sur leur site internet on peut lire que leur mantra est : « Doutez du Conventionnel, Créer l’Exceptionnel ».
Similarité troublante ? Pour Pascal De Decker, directeur général de TAXI et directeur créatif derrière la campagne de l’U d’O, il s’agit d’une coïncidence : « Je n’y avais jamais vraiment pensé pour être honnête. Quand nous avons créé le slogan de l’Université, nous voulions que celui-ci soit vraiment propre à notre client. » Il ajoute : « Peut-être est-ce pour ça que nous avons été choisis, ils voyaient en nous quelque chose qu’ils voulaient. »
La compagnie aura reçu 500 000 dollars pour le développement de la campagne, selon les dires de Louis de Melo, vice-recteur aux relations externes, dans une entrevue avec La Rotonde en automne 2014.
Le budget total de la campagne s’élève à 2 millions de dollars pour deux ans. Il comprend les frais des publicités placardées dans les villes d’Ottawa, Montréal et Toronto.
Une campagne développée par et pour la communauté universitaire ?
« Le premier mandat [de la firme engagée] a été de déterminer l’ADN de l’Université », explique Louis de Melo.
Patrick Charrette renchérit : « Nous avons fait des groupes de discussion. Nous tenions à rencontrer les gens, les professeurs, les étudiants et les anciens. C’était un processus assez inclusif. » Le directeur n’a pour autant pas été en mesure de nous dévoiler des chiffres précis quant à ces études de marché.
Si des consultations et des entrevues individuelles ont en effet été menées auprès de la communauté universitaire, le directeur créatif de la campagne n’y aura cependant pas eu accès.
« Je ne peux pas tellement vous parler du processus de recherche préalable. Tout ça s’est passé avant que j’arrive », confesse Pascal de Decker. « Mais je peux vous dire que le slogan est né d’un réel son de cloche, entendu lors de ces entrevues individuelles. »
Les détails précis du processus créatif n’ont pas été entièrement dévoilés. « Je siège au Sénat, mais je n’ai pas vu de document portant sur le processus », déclare le professeur de marketing de l’U d’O Guprit S. Kindra. Le directeur des communications de l’université affirme le contraire : « Il y a eu des présentations au Bureau des gouverneurs, au Sénat et dans les Facultés ».
« Bien entendu, il y avait des personnes à qui ça ne plaisait pas, mais bon c’est le propre de tout processus créatif : nous essayons de plaire au plus grand nombre » ajoute-t-il.
Été 2015 : fin de contrat et virage marketing
L’université d’Ottawa ne figure plus dans la liste de clients de l’agence TAXI.
La raison ? « Ils nous ont flushés. Il y a trois mois, on a reçu une lettre nous annonçant que l’Université mettait un terme au contrat » explique Monsieur de Decker. « Nous avions un plan stratégique qui s’étalait sur trois ans. Les panneaux publicitaires n’étaient que la première phase de celui-ci. »
Les relations avec l’Université auront été difficiles tout au long du processus : « Nous avons commencé à travailler ensemble, et puis énormément de politique a embarqué très rapidement. La personne avec qui nous étions en contact a quitté son poste pour se lancer en politique, et puis l’université a voulu se réapproprier la campagne à l’interne ».
Cette décision a amorcé un tournant pour la campagne promotionnelle de l’U d’O. Alors que le début de la campagne mettait l’accent sur la dualité intrinsèque à l’Université, entre français et anglais, et sur les recherches de professeurs qui lient les disciplines ; les nouveaux développements de celle-ci restent très conventionnels.
L’Université a par ailleurs créé des conseils de marque. Il existe un conseil central et des conseils individuels dans chaque faculté. Aucune trace de ceux-ci n’a cependant pu être trouvée en ligne.
« Des images de professeurs plan-plan à côté de leurs réalisations, c’est exactement ce que nous voulions éviter. Ils ont voulu ramener le marketing à l’interne, c’est leur choix. Mais tout le monde ne peut pas sortir des conventions et des codes de la publicité » commente monsieur de Decker. « Là, la campagne ressemble à ce qui se fait à l’UQAM ou à Concordia. »
Quels buts derrière la campagne : l’avis des experts
Pour certains, il faut voir la campagne de l’université plus comme une promesse qu’un véritable état des faits.
« Défiez les conventions, c’est une promesse, un rêve ! Cela doit venir avec des changements. Si dans 5-6 ans nous sommes toujours une université mainstream et traditionnelle, alors le slogan deviendra une blague », prédit le professeur Kindra.
Le standard qu’impose le nouveau slogan vient avec de nombreuses contraintes, comme l’explique Patrick de Decker. « Ce positionnement implique que l’Université a toujours à se réinventer. Ce n’est pas un statut facile à assumer. »
« L’expression n’a pas été pensée en français »
« Quand j’entends, “Défiez les conventions”, je pense : aller au-delà des lois » avoue Farkhonda Azimy, étudiante de 4e année en sciences politique. « Je ne pense pas que ce soit représentatif des étudiants de l’Université » Misha Abou Khaled, étudiante en droit, abonde dans le même sens : « Ce qui cloche avec le slogan c’est que c’est vague, on peut l’interpréter de différentes manières ».
Le slogan sous-entend l’anarchie. Si en anglais « Defy the conventional » est explicite, pour Micheal Mulvey, professeur de marketing à l’école Telfer, l’expression n’a pas été pensée en français. Pour le professeur, ce nouveau slogan n’est pas tant différent de l’ancien dans le sens où il peut être trompeur. « Défier peut signifier la résistance, la non-conformité, ce qui peut être bon et mauvais. La convention, c’est la façon normale de faire les choses, c’est qui n’est pas si mauvais. Après tout l’Université est une des structures les plus traditionnelles de notre société moderne. » Pour lui, l’ensemble perd le sens que l’on retrouve dans l’expression anglaise.
#DéfiezLesConventions : un nouveau « meme » pour les étudiants
Depuis octobre 2014 et la publication de la toute première vidéo de la campagne de promotion de l’U d’O sur les réseaux sociaux, la campagne est tournée en ridicule par les étudiants.
Pour l’Université cependant, toute publicité est bonne à prendre : « À la limite il y a quelque chose de positif quand on se réapproprie ce genre de chose. L’année dernière lors du Panda, les jeunes scandaient “Nous défions les conventions”, ça m’a fait vraiment plaisir », affirme Patrick Charrette.
Sur Facebook ou Twitter, le hashtag #DéfiezLesConventions, ou en anglais #DefyTheConventional, est maintenant devenue monnaie courante pour conclure les blagues sur l’université et ses défauts. Dans les statuts, les étudiants rivalisent de sarcasme et d’ironie pour mieux détourner la nouvelle devise.
Nouvelle campagne de financement, objectif : 400 M$
Le jeudi 7 mai 2015, l’Université a dévoilé le lancement de la plus grande campagne de financement de son histoire. Objectif : 400 millions de dollars.
Son nom ? Défiez les conventions. L’Université cherche à travers celle-ci à récolter des dons à travers le monde pour les investir dans l’éducation, la santé, la relève et les infrastructures.
Afin de mieux promouvoir cette nouvelle campagne et cette nouvelle image, des lancements ont été organisés par l’U d’O à travers le globe, avec les comités régionaux d’anciens étudiants. Le recteur Allan Rock s’est déjà rendu à Vancouver, Toronto, Montréal, Los Angeles, Londres, Paris. Cet octobre, il entame sa tournée en Asie, se rendant successivement à Kuala Lumpur le 15, Shanghai le 17 et Hong-Kong, le 20.
« On est conscient qu’il y a des couts associés à ça », assure cependant Patrick Charrette.
Pour lancer la campagne du bon pied, les officiels de l’université d’Ottawa se sont rendus à Toronto pour ouvrir le 11 mai dernier la Bourse Toronto. Belle manière de souligner l’accent mis sur l’éducation.