Dossier sur le bilinguisme: Des différences cognitives dès l’enfance
Par Clémence Labasse
Dans la plus grande université bilingue au monde, la présence des deux langues officielles est assurée quotidiennement au sein de l’administration et chez les professeurs. Mais l’identité peut-elle (sur)vivre au sein de deux communautés linguistiques distinctes sans être complétement transformée? Il est d’abord nécessaire de s’intéresser aux formes de bilinguisme qui occupent le campus.
« Pendant très longtemps, on pensait que la personne bilingue était définie comme étant une personne qui était absolument parfaitement compétente dans les deux langues sous tout rapport! », s’exclame Richard Clément, directeur de l’Institut des langues officielles et du bilinguisme de l’Université d’Ottawa (U d’O).
« Dans une perspective moderne, la personne bilingue peut avoir des taux de compétences différents dans les langues qu’elle maîtrise et des taux de compétences variables dans les différentes habiletés des langues », explique M. Clément, précisant que « par exemple, je peux être capable de parler, de lire dans une langue, mais pas être capable de bien comprendre à l’oral ».
Cela étant dit, les distinctions entre personne bilingue et personne ayant une langue seconde n’ont pas tout à fait disparu : on parle plutôt de bilinguisme coordonné ou de bilinguisme composé.
« Si les langues sont apprises en bas âge, on a habituellement un bilinguisme de type composé, la personne peut utiliser une langue ou l’autre, mais va également développer un autre système symbolique qui va intégrer les deux langues. C’est la personne la plus distincte », explique le professeur. « Il existe également des personnes de type coordonné, c’est-à-dire qu’elles vont avoir appris les deux langues de façon subséquente, et elles vont véritablement alterner d’une langue à l’autre, avec plus ou moins de compétence ».
Selon les recherches de Christopher Fennell, on peut voir, dès un très jeune âge, des différences cognitives entre les enfants bilingues et les enfants unilingues, selon leurs capacités d’appréhension des langues.
Ce professeur de psychologie, directeur du Laboratoire de Développement du langage de l’U d’O, concentre sa recherche sur l’apprentissage des langues chez des enfants en très bas âge (entre trois et 20 mois). Il a remarqué que « les enfants bilingues ont tendance à être plus flexibles quand différentes sonorités sont associées à un même objet, ils l’acceptent plus facilement que les enfants unilingues qui ont tendance à rejeter le fait qu’un même objet puisse être associé à différents sons ou mots ».
M. Fennell précise que la préférence pour tel ou tel langage intervient plus tard, vers l’âge de quatre ou cinq ans, quand l’enfant arrive à l’école, au contact des pairs. En cela, la question de l’identité est difficile à traiter, car les petits enfants n’ont pas d’identité propre. De plus, l’identité n’est pas une donnée fixe, mais un processus continu.
L’apprentissage d’une seconde langue n’a pas la même conséquence si vous êtes issu d’un groupe minoritaire ou majoritaire. M. Clément ajoute que « l’apprentissage du français pour un anglophone par exemple est purement additif, un bonus ; tandis que pour un francophone, s’il y a un même effet positif, il existe aussi un risque que la personne perde son identification à son groupe d’origine ».
Laura Jammal, étudiante en deuxième année en géographie, vient d’une famille anglophone, mais a fait toute son éducation secondaire en français. « Je me sens plus anglophone, je n’ai aucune connexion avec la francophonie en Ontario. Le français est un bon atout pour rencontrer des personnes ou pour un travail plus tard, mais si je peux parler anglais, je vais parler anglais », admet-elle.
Pour Angelina Kuok, étudiante de quatrième année en communication qui parle couramment anglais, mandarin et cantonais, « le fait d’être bilingue devrait encourager l’ouverture d’esprit justement et non pas se limiter à une identité particulière ». Avec l’augmentation du taux de bilinguisme au Canada dans les deux communautés, peut-être assistons-nous à la naissance d’une véritable identité bilingue.