– Par Marc-andré Bonneau –
Alors que le mouvement #FemmesSurLeWeb prend de l’ampleur, ses revendications rappellent l’urgence de décrier la violence à l’égard des femmes, qui prend des proportions inquiétantes dans l’espace numérique. Cet espace est aussi celui où le corps se dissipe, où les idées sont dissociées d’une identité physique. Cet environnement permet d’imaginer une discussion avant-gardiste sur les relations hommes–femmes, dans un espace où le sexe et le genre ne s’additionnent pas.
Raisonner la haine
Les poignantes dénonciations d’une lettre intitulée « Misogynie 2.0: harcèlement et violence en ligne », récemment publiée dans Le Devoir, critiquent la flambée de propos haineux à caractère sexuel dont les femmes sont victimes sur la toile. Les auteures revendiquent une plus grande implication des comités éditoriaux sur les plateformes numériques ainsi qu’un support juridique approprié.
L’amplification des rapports haineux dans l’espace numérique rappelle évidemment la nécessité de dénoncer les inégalités entre les genres et les impacts du patriarcat sur la condition de la femme. Ces revendications ne sont pas nouvelles, mais elles dénoncent des inégalités qui s’articulent dans un nouveau contexte : l’espace virtuel.
Bien que ce nouvel environnement de discussion pose des défis uniques, notamment au niveau juridique, le déploiement de ce débat sur le web nous permet aussi d’imaginer une discussion dans un terrain neutre. Les symboles traditionnellement associés à l’identité masculine ou féminine perdent de leur importance. Ce nouveau contexte permet à ses usagers de modeler leur identité sans que l’identité virtuelle soit définie par un déterminant biologique. D’une façon particulièrement éloquente, le genre – comme construit social – existe sans le sexe – comme déterminant biologique.
Où la binarité se dissipe
Cette particularité nous permet d’animer une discussion qui n’est pas encadrée par la dichotomie entre les deux genres acceptés par la majorité, qui résulte de l’opposition directe entre les hommes et les femmes. Une fois que ce faux dilemme est abandonné, il est possible de réfléchir les inégalités des genres avec de nouveaux horizons.
Le mouvement #FemmesSurLeWeb crée adroitement une communauté importante et permet d’en sensibiliser d’autres sur l’égalité des genres. Mais l’environnement dans lequel s’animent ces revendications permet aussi d’imaginer des relations qui vont au-delà des rapports hommes–femmes. Les discussions sur le genre sont malheureusement trop souvent limitées par des arguments qui réduisent la construction de l’identité à des aspects biologiques.
Dans une conversation en tête à tête (ou corps à corps), la présence physique de l’individu tend à additionner le sexe et le genre. Dans l’espace virtuel, les usagers sont libres de construire leur identité avec un minimum de contraintes, tel qu’en transformant noms et photos comme bon leur semble. Mais comment exploiter cette neutralité comme lieu de discussions saines?
Cogiter sans le corps
La valorisation de cette possibilité ne vise pas à mettre de côté l’importance de l’identité féminine dans les revendications, ainsi que la dimension historique sur laquelle s’appuie cette identité. Le potentiel de ce nouvel espace de discussion se présente plutôt comme une possibilité supplémentaire pour affronter les inégalités des genres et pour dépasser la dimension binaire du débat.
La critique du patriarcat doit s’appuyer sur des faits socio-historiques, mais soustraire une partie de la composante identitaire liée au débat permet une nouvelle réflexion sur les questions liées à la fois au sexe et au genre.
#FemmesSurLeWeb est une nécessité, mais un #SurLeWeb tout court, qui fait abstraction du genre, est aussi primordial pour une discussion transpersonnelle. L’espace numérique a le potentiel d’alimenter une discussion sur l’égalité des genres sans que ces réflexions soient déterminées par l’identité des interlocuteurs. Profitons-en!