
Ce que vous devez savoir sur la Politique d’aide internationale féministe du Canada…
Crédit visuel: Catherine Gagnon-Jones
Par Camille E. Demers
Deux ans après l’adoption de la Politique d’aide internationale féministe du Canada, le Ministère des Affaires mondiales du Canada est fortement critiqué par plusieurs académiciens canadiens. Sachant que les élections fédérales au mois d’octobre arriveront plus vite qu’on ne le pense, certains peuvent se demander si sa politique d’aide humanitaire féministe sera menacée par un changement de gouvernement. Serait-ce même une bonne chose si celle-ci est modifiée? Voici donc un guide, en quelque sorte, avertissant les intéressés aux contraintes de cette politique idyllique.
Qu’est-ce que cette Politique?
En 2017, le gouvernement canadien a annoncé sa nouvelle politique d’aide internationale féministe du Canada afin d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. Les actions principales de cette politique se concentrent sur l’égalité des genres ainsi que l’autonomisation des femmes et des filles comme meilleur véhicule pour contester la pauvreté et les inégalités.
Le gouvernement se dit conscient que, pour renforcer le pouvoir des femmes et des filles, cela exige une transformation des normes sociales et des relations de pouvoir. Cette notion est d’ailleurs importante pour la réalisation des autres projets liés au développement; le gouvernement s’engage alors que, avant 2021-2022, 95% de l’assistance à l’étranger vise à incorporer l’égalité des genres en soutenant les organisations féminines locales de défense des droits des femmes et en incluant les hommes et les garçons dans la lutte pour l’égalité des genres.
D’après le rapport Politique d’aide internationale féministe du Canada, « Affaires mondiales Canada consacre dorénavant 15 % de son aide bilatérale en matière de développement international, à travers tous les champs d’action, à la réalisation d’initiatives dédiées à faire avancer l’égalité des genres (…) ».
De plus, la notion féministe de l’intersectionnalité est mise en évidence lorsque le Ministère souligne que le Canada fournira de l’aide…
« […] fondée sur les droits de la personne et inclusive – toutes les personnes doivent jouir des mêmes droits fondamentaux, quels que soient leur genre, leur race, leur ethnicité, leur origine nationale ou ethnique, leur couleur, leur religion, leur langue, leur orientation sexuelle, leur identité sexuelle, leur âge, leurs aptitudes, ou toute autre facette de leur identité ».
Cette politique, détaillée dans un rapport de plus de quatre-vingt-dix pages, élabore en profondeur six champs d’action :
1) l’égalité des genres et le renforcement du pouvoir des femmes et des filles;
2) la dignité humaine;
3) la croissance au service de tous;
4) l’environnement et l’action pour le climat;
5) la gouvernance inclusive;
6) la paix et la sécurité.
La conclusion de ce rapport souligne que la nouvelle approche du Canada fera de ce pays un donateur féministe et qu’il s’engage à collaborer avec des partenaires plus efficaces tels que divers gouvernements, des sociétés civiles et d’autres acteurs multilatéraux.
Et alors?
Dans le rapport du gouvernement présentant cette politique, il est possible d’y lire : « Le Canada fait partie d’une communauté mondiale. C’est pourquoi nous investissons dans l’aide internationale; contribuer à éliminer la pauvreté et la vulnérabilité partout dans le monde permet d’accroître notre propre sécurité et prospérité » . Si cette affirmation charme l’opinion internationale; elle souligne franchement qu’en assistant les pays étrangers, elle enrichit ses propres intérêts en matière de sécurité nationale et de croissance économique.
D’un point de vue positif…
Le Canada a grandement évolué dans son approche féministe depuis le gouvernement Harper (2006-2015). Lorsqu’il était question d’assister les femmes dans les pays étrangers, Terry Galvin, chroniqueur au Ottawa Citizen, rappelle que l’ancien premier ministre fédéral investissait primordialement dans la santé des mères et des filles. La nouvelle politique s’éloigne justement de cette essentialisation des femmes et se concentre davantage sur les celles-ci comme agentes de changement.
De plus, la politique tente de mobiliser les hommes et les garçons, car, après tout, l’inégalité des genres les concerne aussi. Lorsqu’on parle d’inégalité de genre, on s’attarde souvent à vouloir assister les femmes et les filles dans le secteur de l’éducation, de la santé et du marché du travail, pouvant déresponsabiliser les hommes. Voilà pourquoi « les hommes et les garçons doivent eux aussi remettre en question les traditions et les coutumes qui perpétuent les inégalités entre les genres » ajoute la politique dans son rapport dans sa section «Mobiliser les hommes et les garçons».
S’ajoutant à ces deux points progressistes, la politique souligne que l’inégalité du genre va au-delà du sexe. En effet, le sexe est une identité nouée à plusieurs autres identités comme le pointe le rapport nous informant que « les femmes font souvent face à une discrimination intersectionnelle ».
En général, l’effort du Ministère ne peut pas être négligé, car, comparativement à d’autres pays, le Canada reconnaît les femmes et les filles comme ayant les capacités d’être leaders de leurs propres avenirs et non comme des personnes ayant besoin de suivi permanent.
D’un point de vue négatif…
Dans un rapport d’OXFAM intitulé A Feminist Approach to Women’s Economic Empowerment: How Canada can lead on addressing the neglect areas of WEE (Women’s Economic Empowerment), publié en 2019, on nous partage que même si le Canada plaide en faveur des droits des femmes, son engagement global en matière d’aide reste faible par rapport aux autres pays occidentaux –il représentait 0,26% de son revenu national brut en 2017. Outre sa contribution économique, la politique féministe est aussi porteuse d’autres défis ralentissant sa réussite.
« Les femmes et les filles peuvent changer le monde. Améliorer l’égalité des genres peut générer une forte croissance économique ». Voilà la première chose énumérée dans l’une des sections du rapport gouvernemental où on nous présente un avantage de l’égalité des genres.
Il est possible de ressentir que l’autonomisation des femmes est un gain économique pour le Canada et les autres pays. Cette approche féministe libérale du développement, au contraire, ne s’attaque pas au système social, car elle se focalise sur les droits des femmes sur le marché du travail, les diminuant ainsi à de simples participantes de l’économie.
En participant à l’économie capitaliste, par exemple, elles stimulent l’économie de marché qui
1) détermine les attentes concernant le rôle productif et reproductif des femmes
2) perpétue les préjugés sexistes et la discrimination sur le marché du travail
3) dicte les attitudes à l’égard des droits de femmes, leurs mobilités et l’acceptabilité de la violence à l’égard des femmes d’après Rafia Zakaria, chroniqueuse du journal The Nation et auteure des livres: The Upstairs Wife: An Intimate History of Pakistan et Veil.
En d’autres mots, cette approche croit que l’empowerment économique est une solution aux inégalités.
Il y a d’ailleurs la question de logistique : qui supervise et évalue les projets de nature féministe? Ce seront des agents canadiens expertes en genre qui mesureront le progrès. La simple notion de mesurer ce type de progrès pose problème. La notion occidentale du genre n’est pas forcément le même dans un autre pays.
Ce qui est troublant c’est la possibilité qu’Affaires Mondiales utilisent les mêmes indicateurs pour mesurer le progrès dans chacune des régions. De plus, comme dans tout projets, les agents tenteront de plaire aux bailleurs de fonds, qui souhaitent, généralement, des résultats rapides et tangibles même si la lutte pour combattre les inégalités entre hommes et femmes est une lutte longitudinale. Pour cela, les agents rédigent des rapports qui étirent la réalité du terrain pour conserver le support monétaire pour de futurs projets. Il sera alors difficile d’implanter de nouvelles pratiques de gestions de risque sans connaître les défis et les faiblesses de projets antérieurs.
Plusieurs d’autres aspects pourraient être soulevés pour appuyer le simple fait que la politique perçoit plutôt les femmes comme bénéficiaires. La notion de l’aide humanitaire est fragile, car elle sous-entend une relation de pouvoir.
Il est important de garder en tête ces aspects positifs et négatifs de la politique d’aide humanitaire féministe pour les prochaines élections et aussi, lorsqu’elles seront partagées au public, en lisant les plateformes proposées en matière de développement international par les différents partis. Quelle image voulez-vous que le Canada ait sur la scène internationale? Un nouveau gouvernement aiderait-il à améliorer notre image en tant que donneur féministe ou à la détériorer?