– Par Sara Ghalia –
« Le meilleur acteur n’est pas celui qui se crève les yeux pour jouer un aveugle mais celui qui nous fait croire qu’il a les yeux crevés. », disait Patrick Bruel, acteur français, nominé pour un César du meilleur acteur en 2013. Au-delà des définitions poétiques sur le métier, quelle est réellement la définition d’un acteur? Quel est le chemin à suivre par les jeunes afin d’être reconnus comme acteur, et plus spécifiquement, comme acteur de théâtre? La Rotonde a rencontré Jean Stéphane Roy, professeur au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa et spécialiste en jeu et en mise en scène, ainsi que Xavier Lord-Giroux, candidat à la maîtrise en pratique théâtrale.
M. Roy se destinait à une carrière d’actuaire avant de suivre un cours de théâtre d’été à l’âge de 14 ans : « Je m’étais inscrit pendant l’été à des cours de théâtre privés parce que j’étais très gêné […] mais ç’a été une révélation. J’ai vraiment eu un choc profond. Tout de suite après le cours, ma mère est venue me chercher et la professeure disait à ma mère : « il a du talent lui, il peut faire ce métier-là ». » Depuis, il a joué dans plus de 60 productions théâtrales et a enseigné dans plusieurs coins du Canada, du Québec à l’Alberta en passant par l’Ontario, notamment à L’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx, où lui-même a fait sa formation en théâtre. M. Roy explique que plusieurs options sont offertes aux jeunes qui s’intéressent au théâtre et qui veulent en faire leur carrière : « La plus « facile », je dirais c’est d’aller dans une école de théâtre dite conservatoire. […] Ça veut dire que c’est intensif pendant quatre ans, tu ne fais que ça, du théâtre, du théâtre. Mais ça, il y en a juste au Québec, des écoles en français, malheureusement. Il n’y a pas encore une école dite conservatoire au Canada français, et c’est ce qu’on est en train d’essayer d’établir ici au Département. » Il insiste sur l’importance de la création d’une école professionnelle de théâtre, car les jeunes qui décident d’étudier au Québec « ne reviennent plus, ils sont en immersion totale. »
Autre option, être autodidacte, et Jean Stéphane Roy donne l’exemple de Louison Danis, originaire d’Ottawa. « Elle a commencé à la Comédie des Deux Rives, puis elle ne voulait absolument pas faire d’école : « parce que je ne suis pas quelqu’un qui veut être formatée, je veux rester libre ». Pendant dix ans, elle a suivi des stages, des petits contrats et petit à petit, elle s’est imposée. »
Il existe tout de même d’autres options, comme celle offerte dans plusieurs départements de théâtre ou d’art dramatique dans les universités hors-Québec. « Donc ici [au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa], les jeunes sont vraiment en immersion totale avec les productions parce que il y a des productions officielles à la Comédie des Deux Rives », ajoute M. Roy, en expliquant que si les opportunités ne manquent pas pour les étudiants, la compétition est de plus en plus rude entre les étudiants et les acteurs. De plus en plus de stages et de cours sont offerts, ainsi que des programmes au Cégep pour les étudiants québécois.
Xavier Lord-Giroux a quant à lui étudié à l’Université de Moncton au baccalauréat d’art dramatique. Il prépare en ce moment la pièce Guernica, de Fernand Arrabal, qui sera présentée au public du 13 au 15 mars prochain au studio Léonard-Beaulne. Son intérêt pour le théâtre, nourri durant ses années au secondaire, l’ont poussé à s’inscrire au baccalauréat d’art dramatique. Mais comme pour plusieurs étudiants, il a dû faire face à « un mode d’apprentissage [qui n’est pas] comme les autres ». De l’apprentissage de textes par cœur, aux « introspections intérieures de nous-mêmes et qu’est-ce que cela donne dans les personnages », la formation d’acteur est rigoureuse et demande beaucoup d’efforts. Pour faire face à la compétition entre acteurs, ces derniers ont droit à une panoplie de cours dans les écoles professionnelles : cours de chant et de danse pour les comédies musicales, cours d’escrime et même entraînement physique intensif.
Malheureusement, le métier est encore sous-estimé, ce que M. Roy déplore : « Le problème avec le théâtre, c’est que les gens ne prennent pas ça au sérieux, parce qu’on peut en faire de façon amateur. Y a pas de médecine amateur, y a pas de droit amateur, donc on respecte ces grandes professions, alors qu’en théâtre et tous les arts danse, chant, on peut le faire de façon amateur, ce qui fait que tout le monde pense que c’est facile. » Pourtant, devenir acteur, c’est une sorte de réapprentissage de soi-même. Réapprentissage de la diction, du souffle, de la démarche, de la posture… Tant de défauts techniques que les acteurs passent des années à corriger. « À chaque fois qu’un acteur évolue, ça marche par cassages interposés. Puis à chaque cassage, il y a des larmes qui viennent avec », déclare M. Roy, en ajoutant : « Je te dirais qu’aujourd’hui, les jeunes entrent à l’école au niveau que moi j’ai sorti. » Niveau de plus en plus haut, compétition de plus en plus difficile, mais comme n’importe quel métier, tout dépend de la personne. Afin de ressortir du nombre élevé de jeunes qui s’essayent en théâtre chaque année (avec 500 demandes par année pour les grandes écoles, alors que seulement 12 ou 15 sont acceptées), l’apprenti acteur doit se préparer à une formation difficile et en sortir polyvalent.
« Entre la fin de la formation et le statut d’acteur professionnel, il n’y a pas de job qui t’attend. Il y a peut-être quelques contrats, mais t’as pas d’emploi permanent qui t’attend à la fin de ton bac en art dramatique, même en théâtre j’imagine. Il faut se créer son propre emploi », explique Xavier Lord-Giroux. Hors de Montréal, dans le reste du Canada français, il est difficile de vivre simplement de son métier d’acteur, et s’il faut plusieurs aptitudes, plusieurs acteurs s’essayent à d’autres domaines comme la régie, l’écriture, la mise en scène etc. M. Lord-Giroux déclare : « Tu ne deviens pas juste comédien, tu deviens homme ou femme du théâtre. »