
Désolé, médias du monde, mais on vous a dupé! : 8 infos ayant circulées ces derniers jours, vérifiées
Clémence Labasse
Un cours de yoga gratuit annulé pour cause d’appropriation culturelle. La situation semblait trop belle pour ne pas en faire un article juteux. Puis un autre. Et encore un autre. Éditoriaux, articles, reportages, micros-trottoirs. Publications écrites, émissions de télévision, vidéos Youtube. La « controverse » de l’Université d’Ottawa (U d’O) aura fait le tour du monde. Mais une question se pose : les grands médias, éloignés du campus, ont-ils pris le temps de vérifier les faits rapportés par l’article du Ottawa Sun?
La Rotonde a décidé de faire le point sur l’affaire emberlificotée qui a fait réagir la planète, et d’établir une bonne fois pour toutes que la vérité est souvent bien plus décevante que la fable.
- 1) NON, LA PROFESSEURE DE YOGA N’A PAS DIT QUE SON COURS AVAIT ÉTÉ ANNULÉ À CAUSE D’ENJEUX CULTURELS… MAIS LES COURRIELS QU’ELLE A FAIT CIRCULER À LA PRESSE L’ONT FAIT POUR ELLE
Le mardi 24 novembre, La Rotonde a rencontré Jennifer Scharf, instructrice de yoga pour le Centre des étudiants ayant une incapacité (CEI) depuis 2008. « Je ne pense pas que l’annulation de ces cours ait à voir avec de l’appropriation culturelle. Je pense qu’un membre du CEI avait du ressentiment contre moi et certaines de mes opinions personnelles, dont je ne parlais pas en classe », explique-t-elle. « Ils ont essayé de déguiser cela en me communiquant différentes excuses, telles que le manque d’accessibilité des cours et le manque de sensibilité culturelle. »
Dans l’échange de courriels qu’elle nous a par la suite transféré, il est cependant bien écrit : « Si le yoga est une bonne idée, […] il y a des problèmes culturels impliqués avec sa pratique. » Dans ce même courriel sont mentionnés l’« oppression » et le « génocide culturel » des peuples d’où vient cette pratique hindouiste et bouddhiste, originellement hautement spirituelle.
- 2) OUI, LES COURRIELS CHOISIS PAR LA PROFESSEURE DE YOGA DISENT UNE CHOSE, MAIS L’ÉCHANGE DE COURRIELS COMPLET EN DIT UNE AUTRE.
Transférés à différents médias à travers le monde, le courriel en question a été envoyé en début de session, le mardi 7 septembre à 19 h 47. Quelques heures plus tard, un nouveau courriel par le même employé du CEI, que La Rotonde a pu consulter, expliquait à Scharf qu’il avait eu un malentendu. « Je m’excuse d’avoir tiré des conclusions hâtives », est-il écrit, suivi de suggestion de solutions pour remettre le cours sur pied. Durant les mois qui suivent, de nombreux courriels sont échangés entre des membres du Centre et Scharf afin de trouver une solution au manque de participation.
- 3) NON, AU MOMENT DE SA CLÔTURE, 60 ÉTUDIANTS NE SUIVAIENT PAS LE COURS.
S’il est inscrit dans l’article du Ottawa Sun du 20 novembre que « 60 étudiants participaient au programme gratuit », Scharf elle-même le dément. « Il n’y avait pas régulièrement autant d’étudiants. Soixante, ce doit être le maximum que nous avons pu avoir dans les huit années du programme », admet-elle.
« Lors du seul cours qu’elle a donné cette session en septembre, moins de cinq étudiants étaient présents », explique un membre du CEI, qui a préféré rester anonyme. « Le studio de danse de Montpetit où se passaient les cours ne pouvait pas contenir plus de 25 personnes de toute façon. »
- 4) NON, LES COURS DE YOGA N’ONT PAS ÉTÉ BANNIS DU CAMPUS
Contrairement à ce que certains titres de presse laisseraient entendre, les cours de yoga n’ont pas été bannis du campus et l’U d’O n’a rien à voir avec cette affaire. Les cours n’étaient même pas réellement annulés jusqu’à la parution de l’article du Ottawa Sun. Jennifer Scharf et le CEI étaient avant cela en discussion constante dans le but de trouver une solution au manque de participation aux cours. Dans un courriel datant de septembre entre les deux parties, l’instructrice suggère : « Il vaudrait mieux remettre les cours à la session d’hiver. » Par ailleurs, le programme de yoga du CEI sera de retour dès janvier.
- 5) NON, LE COURS DE YOGA N’A DÉFINITIVEMENT PAS ÉTÉ ANNULÉ À CAUSE DE PROBLÈME D’APPROPRIATION CULTURELLE.
Alors, ressentiment personnel, manque de promotion, manque d’étudiants, manque d’accessibilité ou manque de moyens? Les raisons derrière l’annulation des cours de yoga en octobre, novembre et décembre restent floues. S’il est difficile de l’expliquer avec certitude, une chose est cependant claire : le courriel portant sur l’appropriation culturelle semble être une erreur de jugement.
« Tous les étés, les services font des consultations dans le but d’améliorer leurs programmes. Un membre du staff a alors suggéré que les cours de yoga étaient trop physiques pour certaines personnes ayant des incapacités et pas assez relaxant », raconte le membre du CEI. « Cette idée a été mal comprise et traduite dans le courriel incriminé. C’est pour cette raison que le Centre s’est excusé quelques heures plus tard. »
- 6) DÉSOLÉE DÉTRACTEURS DE LA FÉUO, MAIS NON, LA FÉDÉRATION ÉTUDIANTE N’EST PAS OFFICIELLEMENT EN GUERRE CONTRE LE YOGA
« En tant que personne qui ne prend pas part à cette foi, je ne pourrais pas me prononcer ouvertement pour ou contre le yoga comme il est pratiqué ici », affirme Nicole Maylor, vice-présidente équité qui a à charge la plupart des centres et services de la FÉUO. « Je pense que l’activité a du bon et que, de ce fait, elle doit être accessible à tous, et particulièrement aux utilisateurs du centre. »
- 7) OUI, LA FÉDÉRATION ÉTUDIANTE S’EST EMBROUILLÉ LES PINCEAUX ET EST PEU EFFICACE DANS SA COMMUNICATION.
Mais alors, qui a donc permis toute cette désinformation de circuler?
La controverse a pris place sur le campus alors que les membres de l’exécutifs de la FÉUO n’y étaient pas. Ceux-ci se trouvaient Gatineau à l’occasion du colloque annuel de la Fédération Canadienne des Étudiantes et Étudiants (FCÉE). À cause des politiques de communication opaque de l’organisation, seuls les élus sont autorisés à parler aux médias, et non les employés. Ainsi, les seuls capables de clarifier publiquement la situation n’étaient pas forcément les plus au courant.
Aedan Helmer, journaliste du Ottawa Sun, explique avoir contacté plusieurs fois Roméo Ahimakin, vice-président aux communications de la FÉUO, avant de publier son article. « Au moment où ce journaliste m’a contacté, je n’avais pas conscience qu’il parlait des courriels du CEI, que je n’avais pas lu », avoue Ahimakin. C’est pour ça que, plutôt que de nier les accusations du journaliste, le v.-p. aux services et communications les a maladroitement confirmées.
En se justifiant plusieurs fois dans des communiqués brouillons sur Facebook, ou sur des pages personnelles, la FÉUO et, par extension, les employés du centre qu’elle supervise, ont ainsi laissé paraitre une image d’eux peu crédible.
- 8) OUI, IL PEUT ARRIVER AU TIME OU AU WASHINGTON POST DE SE TROMPER.
La semaine dernière, l’information du Ottawa Sun aura été reprise des centaines de fois, des États-Unis à l’Australie. Soumis à des contraintes de temps, il est parfois difficile pour des journalistes basés à l’autre bout du globe de vérifier certaines informations. Ainsi, la journaliste du Time Magazine, dans un article sur le sujet, s’est-elle contentée de reprendre les informations du Washington Post, elles-mêmes basées sur des suppositions.
Quant à Adean Helmer du Ottawa Sun, il s’extasie : « C’est l’article le plus lu de l’histoire du site de notre journal! » Reste à déterminer si, entre popularité et factualité, l’un ne vaut pas plus que l’autre.