
Désinvestissement de l’industrie pétrolière – Or noir : Un rapport qui fait couler beaucoup d’encre
Par Yasmine Mehdi
Le désinvestissement est une solution « brutale et inefficace ». Voilà la conclusion d’un rapport produit par le Centre Carleton pour l’innovation des communautés (CCIC) et faisant suite aux revendications répétées du mouvement Fossil Free pour que l’Université d’Ottawa (U d’O) cesse d’investir dans le secteur pétrolier. La Rotonde s’est penchée sur ce rapport, à l’impartialité contestée.
DES CONCLUSIONS SANS APPEL?
Tessa Hebb, auteure du document intitulé « Fossil Free Campaign Orientation Paper for University of Ottawa »*, rend une conclusion sans équivoque sur la question du désinvestissement : « La plupart des investisseurs responsables et des experts ne croient pas que le désinvestissement des énergies fossiles est une stratégie efficace. »
Dans le rapport, il est mentionné que 30 universités, 167 fonds d’investissement et 656 investisseurs privés se sont déjà engagés à retirer leurs investissements des compagnies d’énergie fossile, totalisant 50 milliards de dollars en actifs. Malgré cela, Hebb conseille à l’U d’O de ne pas suivre cette voie, jugée inefficace.
LES DÉFENSEURS DU DÉSINVESTISSEMENT
Noémie Lavoie, militante de Fossil Free, dit ne pas comprendre pourquoi l’Université ne désinvestit pas, surtout en considérant le nombre important d’initiatives durables mises en place sur le campus. « Je crois que l’Université est consciente de l’importance du développement durable, mais qu’elle a peur pour son portefeuille », a-t-elle déclaré.
Pour Jessica Forrest, professeure adjointe en biologie et signataire d’une lettre ouverte pour le désinvestissement avec 90 autres professeurs, la réponse de l’Université est un comble, compte tenu de son slogan actuel : « C’est inconsistant avec le message de ‘Défier les conventions’. Si on veut défier les conventions, on devrait se désengager de ces compagnies [pétrolières] qui sont très conventionnelles. »
Le ton condescendant employé dans la rédaction du rapport est aussi l’objet de vives critiques de la part de Fossil Free. Noémie Lavoie s’est dite choquée de lire que « les étudiants gaspillent des ressources précieuses et du temps avec ces campagnes ».
En réponse à cela, Tessa Hebb s’est fendue d’un commentaire sur le caractère « absolument essentiel pour l’humanité » de sa perspective, en faisant valoir que celle-ci permettrait un changement majeur dans notre société.
L’AUTEURE DU RAPPORT
Interrogée sur l’intégrité de ses conclusions, l’auteure a mis en avant sa réputation comme l’une des chercheurs les plus estimés au monde dans le domaine des investissements responsables. Au sujet du désinvestissement, elle déclare : « Quand quelqu’un vend ses parts de marché, quelqu’un d’autre les achète. Les compagnies ne reçoivent donc aucun message de cette transaction et la plupart du temps, le nouvel acheteur n’est pas intéressé à promouvoir une économie faible en carbone. »
Agacée par cet argument qu’elle juge dépassé, Jessica Forrest rétorque : « On peut toujours dire que quelqu’un d’autre va prendre la relève, mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir. »
Tessa Hebb souligne cependant que l’Université lui a demandé de fournir une opinion et non une analyse objective sur le sujet. « Chacun d’entre nous, en tant que citoyen et en tant que chercheur, a le droit à son point de vue », a-t-elle déclaré.
OÙ SONT LES CHIFFRES?
Malgré leurs divergences, les intervenants ont un point en commun : personne ne sait à combien se chiffrent exactement les investissements de l’U d’O dans le secteur pétrolier.
Noémie Lavoie confie : « On n’a pas les chiffres exacts parce que l’Université n’a jamais accepté de nous les donner. Nos estimations sont basées sur ce que d’autres universités ont réussi à avoir. »
La somme de 55,4 M$ en investissements directs dans le secteur pétrolier est mentionnée dans un document de l’U d’O publié en 2004 et déterré par Misha Voloaca, un autre bénévole de Fossil Free. Ce chiffre représente 10 % du portfolio du fonds de pension des professeurs de l’U d’O. Les investissements indirects, ou les investissements du fonds de dotation ne sont toutefois pas compris.
Tessa Hebb n’a pas non plus eu accès au portfolio des investissements de l’U d’O; selon elle, par souci d’indépendance pour son rapport.
Interpellés sur le sujet, les représentants de l’U d’O n’ont pas pu se libérer pour répondre à nos questions. Ils perpétuent ainsi le secret entourant les relations entre l’Université et les compagnies pétrolières, depuis de nombreuses années.
* Il est à noter que le document n’est en effet pas titré comme un rapport, mais plutôt comme un document d’orientation.