
Des Jeux olympiques « sans relations sexuelles non traditionnelles »
– Par David Beaudin Hyppia –
Du 7 au 23 février 2014 auront lieu les Jeux olympiques de Sotchi, dans une Russie qui se voit critiquée de toute part. Ces Jeux olympiques passeront certainement à l’histoire, mais non pas pour son message d’entraide et de paix mais plutôt à cause du non-respect des droits de l’homme. Travailleurs sous-payés et mal logés, homophobie grandissante, menaces terroristes, forces armées sur le site olympique, et surtout son coût extravagant de 36 milliards, bref des Jeux olympiques qui ne laisseront personne indifférent.
Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), comme le Human Rights Watch, dénoncent les pratiques d’exploitation des travailleurs sous-payés et mal logés. Selon un rapport du Human Rights Watch, les travailleurs ont des cycles de travail de 12 heures, sept jours par semaine, et sont payés 1,35 euros de l’heure, pour un salaire annuel d’environ 340 à 450 euros, et cela sans parler des logements insalubres. Des retards de paiements et des demi-paiements semblent être fréquents ; « Pendant six mois, j’ai été payé avec du retard, mais maintenant, ça fait six-sept mois que j’attends l’argent », explique un travailleur immigrant qui s’était confié à l’agence France Presse. Sotchi, station balnéaire tout près de la mer Noire dans le Caucase, attire des travailleurs d’Arménie, du Kirghizstan, de Serbie, du Tadjikistan, d’Ukraine ou encore d’Ouzbékistan, qui très souvent ne parlent peu le russe. En septembre 2013, les autorités de la région de Krasnodar ont décidé de créer des brigades d’interventions pour expulser les travailleurs immigrés qui dénonçaient les pratiques injustes, ainsi que pour nettoyer les rues de ces mêmes travailleurs immigrés, peu de temps avant le début des Jeux. Selon Mémorial, ONG russe de la défense des droits de l’homme, de 15 à 20 immigrants sont expulsés par jour.
Deux chefs d’état, le président français François Hollande et le président allemand Joachim Gauck, ont annoncé leur absence aux cérémonies d’ouverture. La vice-présidente de la commission européenne, Viviane Reding, a fait de même. Tous semblent faire ce geste pour dénoncer les violations des droits de l’homme. Cependant, les chefs d’état ne sont pas les seuls à réagir. Le chef de la rébellion islamiste du Caucase, Dokou Oumarov, a menacé de déranger les Jeux olympiques « par tous les moyens ». Deux attentats-suicides en fin décembre ont fait 34 morts à Volgograd, à 700 kilomètres de Sotchi, ce qui rehausse les craintes à ce sujet. « À partir du 7 janvier, toutes les unités chargées de la sécurité des participants et des invités aux Jeux olympiques seront prêtes à intervenir à tout moment », a déclaré Vladimir Poutchkov, ministre russe des situations d’urgence. L’armée russe sera présente sur le terrain, ainsi que plus de 37 000 policiers. De nouvelles mesures de sécurité entreront en vigueur spécialement pour la durée des Jeux. Une amende de 3000 roubles (entre 100 et 150 dollars) sera donnée a ceux qui se déplacent en voiture sans autorisation dans un rayon de 100 km de Sotchi. Les courriers sont ouverts et tous les systèmes de communication sont sous écoute. Des dispositifs de fouilles militaires se retrouvent aux entrées de la ville, les routes environnantes seront patrouillées et les différents ports et voies maritimes seront passés au peigne fin, tandis que le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie contrôlera l’espace aérien à l’aide de satellites, et cela, jusqu’au 23 mars, soit jusqu’à la fin des Jeux paralympiques. Vladimir Poutine, le président de la Russie, a tenté de calmer les ardeurs des critiques en relâchant des militants de Greenpeace, ainsi que les deux dernières Pussy Riot qui étaient encore emprisonnées. Il a aussi réservé un espace de manifestations près du complexe olympique.
En juin 2013, la Douma d’État (le parlement russe) a voté une loi contre la propagande des relations sexuelles non traditionnelles, bref une loi portant atteinte aux droits des homosexuels, ainsi qu’une loi retirant le droit d’adoption d’enfants russes aux homosexuels étrangers. Maria Kozlovska, une avocate du groupe de défense des droits des homosexuels Coming Out explique dans le New Yorker « qu’avant l’adoption de la loi contre la propagande homosexuelle, il y avait des compétitions sportives de groupes LGBT, des activités, des forums et des festivals organisés en Russie. Maintenant, les groupes homophobes de toutes sortes, nationalistes ou encore fascistes, peuvent ouvertement harceler les LGBT. » Des vidéos d’humiliation, de torture et de violence gratuite envers des homosexuels circulent sur divers réseaux sociaux russes. Un projet de loi visant à retirer le droit parental pour cause d’orientation sexuelle sera en débat à la Douma, en même temps que se dérouleront les Jeux olympiques. Tout parent ayant des « relations sexuelles non traditionnelles » se verra retirer son enfant. Il faut se rappeler que l’homosexualité était considérée un crime jusqu’en 1993, et une maladie mentale jusqu’en 1999.
Il ne faut surtout pas oublier que les Jeux olympiques sont bien plus que de simples compétitions sportives. Ils sont des espaces politiques, comme on a pu le voir à Mexico en 1968 (avec les Black Panthers), à Munich en 1972 (avec la prise d’otages des athlètes israéliens), à Moscou en 1980 (avec le boycott des pays occidentaux) et avec le contre-boycott opéré par les pays du Bloc de l’est aux jeux de Los Angeles en 1984. Les Jeux olympiques prônent l’entraide entre les nations, le respect entre les individus et la paix, mais il semble y avoir quelque chose qui nous échappe.