Débat | La lutte contre les changements climatiques doit-elle nécessairement être réalisée par l’instance étatique?
– Par Nicholas DuBois et David Beaudin Hyppia –
Nicholas : Je suis certainement de l’avis que le mouvement écologique a subi et continue de faire face à la cooptation, tant par les grandes multinationales que par les gouvernements. Tandis que la réalité des transformations climatiques requiert des actions radicales, ceux qui tiennent au mythe de la croissance économique infinie (dont la majorité des gouvernements) ont intérêt à transformer les discours qui entourent la question écologique et en faire une problématique d’ordre technique. Nous aboutissons donc avec des solutions telles qu’un marché du carbone ou encore la géo-ingénierie, conçus pour préserver un système économique qui repose, fondamentalement, sur l’accumulation incessante. La tâche des mouvements écologiques peut donc paraître herculéenne ; les conséquences de l’inertie seront, comme l’annonce le 5e rapport du GIEC, catastrophiques. L’État moderne dispose de la capacité de mobiliser des montants de capitaux importants pour transformer la production énergétique et, simultanément, encourager une décroissance de la consommation. De telles transformations nécessitent une coordination étatique importante et permettraient l’implémentation de programmes novateurs – la réduction des heures de travail, l’investissement dans les énergies renouvelables et le désinvestissement des énergies fossiles.
David : Je suis bien en accord avec vos propos, mais je pense que l’État est impuissant pour mettre en place de tels changements. Lorsque que je parle de l’État, je parle des forces politiques qui lui sous-tendent, car il est évident que l’État possède les moyens concrets de changer les pratiques énergétiques du pays. Cependant, si la réalité écologique rattrape les pratiques économiques, les institutions étatiques restent encore accrochées aux pratiques capitalistes. On ne peut pas se fier sur une institution qui vise les mêmes fins que les compagnies pétrolières, par exemple. La puissance politique cherche à investir dans un constant renouvellement énergétique à court terme, qui ne doit pas nuire à la stabilité économique (et politique). Un des enjeux restent le financement d’un tel projet. L’État ne sera pas en mesure de faire de tels changements en se basant exclusivement sur des fonds publics, il devra se retourner vers des fonds privés, et c’est le problème fondamental. On ne peut pas se sortir de ce cercle vicieux du financement. D’après moi, les véritables changements se produiront dans la sensibilisation et dans le changement des habitudes de consommation, qui découlent de discours qui dépassent l’institution étatique. Des organismes comme Équiterre ou encore Greenpeace font émerger les aberrations écologiques de notre système économique, et cela au grand dam des gouvernements. L’État doit, pour se défaire de son lien incestueux avec les compagnies pétrolières, maximiser l’innovation technologique écologique. Le Canada pourrait devenir un des premiers pays à reposer sur la recherche et sur la spécialisation des pratiques énergiques que l’on a présentement, mais pourrait être aussi précurseur des techniques et des pratiques post-carbones.
Nicholas : Il est important de clarifier ce que j’entends par une lutte qui sera réalisée par l’État ; cette dernière ne sera pas le véhicule principal d’un renouveau écologique, ni l’instance unique de cette lutte. Je préconise le rôle de l’État puisque sans celui-ci, le terrain de la société civile n’est pas propice au développement d’un (ou des) mouvement(s) écologique(s). En effet, le discours qui veut faire de la crise écologique une question de technique (à laquelle une solution profitable aux actionnaires peut être trouvée) se situe clairement dans la sphère du marché, et donc en dehors de l’État. Dans la sphère de la société civile, le mouvement écologique peut tisser des liens avec des organismes syndicaux, par exemple, pour réclamer des politiques écologiques en dehors du cadre politique formel. L’État demeure plus perméable face aux demandes populaires (malgré les grandes lacunes de notre démocratie parlementaire). Si le mouvement écologique n’adresse pas le rôle de l’État, et considère déjà ce terrain comme étant perdu (en raison d’une supposée complicité permanente avec les forces économiques), les acteurs économiques qui profitent du statu quo sauront dominer le discours écologique. Je n’adresserais pas la question de la « prise de conscience » écologique auprès de la population, non pas que celle-ci ne soit pas importante, mais qu’il faudrait tout un autre débat pour commencer à éclaircir cet enjeu. Toutefois, dans une lueur d’optimisme, il est à espérer que collectivement nous puissions investir nos États de la capacité d’adresser les changements climatiques et de devenir, parallèlement, le champ du renouveau démocratique.
David : L’État reste plus perméable face aux demandes populaires, certes. Cependant, le renouveau énergétique s’ancre dans une idéologie qui très souvent découle des mouvements de gauche et qui sont systématiquement rejetés, malgré les preuves scientifiques, par les mouvements de droite. L’État, malheureusement, reste à la merci des changements de partis fréquents qui peuvent défaire les progrès environnementaux en quelques mandats. La construction d’un réel renouveau ne peut pas être constamment réacheminée par des idéologies contraires. Ce problème d’ordre politique bloque tout espoir de voir se réaliser un réel changement dans les pratiques énergétiques. Pour moi, le changement doit se produire directement chez les gens, dans les maisons, aux travers d’une connaissance des techniques domestiques. La cour peut devenir un jardin, le toit peut devenir un espace à panneau solaire, etc. Ce qui manque ce ne sont clairement pas la matière et l’espace, mais bien la capacité et le savoir.