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Éditorial

De la misère en milieu étudiant

16 septembre 2013

 

 

 

 

 

 

 

– Par Ghassen Athmni –

Il n’est évidemment pas question d’espérer déclencher ne serait-ce qu’un semblant de n’importe quel épisode de la fin des années soixante avec ce clin d’œil au plus célèbre des pamphlets situationnistes. Il s’agit de relever quelques-uns des éléments qui interviennent directement dans le conditionnement de l’étudiant. Advenant que certains lecteurs aient cru pouvoir préfigurer un discours purement économiste, je me suis dû de marteler la rétorque négative et de dissiper cette croyance en consacrant mon propos à plus d’un volet de cette misère.

 

La vulnérabilité du statut étudiant

Sous l’emprise de ceux à qui profite sa stratification actuelle, la société stigmatise ceux qui sont écartés du marché de l’emploi.Le chômeur, le retraité, l’invalide, mais aussi l’étudiant. Avec les contradictions du système économique, l’étudiant est d’autant plus visé pour être une source de dépenses publiques. Même avec les « petits boulots », il ne parvient pas à s’affirmer au sein du tissu social, et en est par conséquent rejeté. Le même tissu étant profondément rétrograde et hermétiquement conservateur, l’étudiant peine réellement à y constituer un vecteur de progrès. Les plus déterminés, indépendamment de leurs qualités intrinsèques, essuient des échecs cuisants et se font systématiquement réprimer. Les étudiants n’existent pas (ou plus) comme ensemble, malgré le fait qu’ils connaissent majoritairement les mêmes difficultés et expérimentent les mêmes péripéties.L’existence des syndicats étudiants n’est,dans cette configuration où la passivité est un dogme inébranlable et malgré la volonté de certains, qu’un leurre qui permet aux décideurs de mieux contenir un éventuel mouvement et de corrompre encore plus l’université. Ceci ne doit pas constituer un appel à la démission de ceux qui envisagent être des vecteurs de changement, mais une invitation à trouver les voies sur lesquelles on doit s’engager pour rétablir le statut étudiant et en créer une force.

 

L’oppression économique

À l’heure où commence l’écriture de ce paragraphe, la dette étudiante au Canada se chiffre très exactement à 15 543 372 824 dollars, selon le site internet de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (à l’heure où se termine l’écriture de ce papier, soit quatre heures après, elle est à15 543 437 746). L’oppression économique participe largement. Bien entendu, les frais de scolarité (comprendre : leur existence, voire l’inexistence, de salaire étudiant) impactent lourdement cette balance. L’équation que les jeunes gens qui souhaitent réussir doivent résoudre les engrène dans un mécanisme implacable qui les condamne à une aliénation très violente. Un grand nombre des étudiants de l’Université d’Ottawa ne peut étudier sans devoir travailler au même moment, non uniquement pour pouvoir se nourrir et se divertir, mais surtout parce que, dieu merci, ils ne peuvent pas s’endetter indéfiniment. Ils sont dès lors appelés à essayer de mettre fin à l’augmentation des intérêts, parfois même avant de contracter une dette. Ces obligations incontournables oppriment de deux façons : d’abord sur un plan purement pratique, en privant de temps, en consommant beaucoup d’énergie musculaire et en altérant les capacités cérébrales, ensuite de par leur caractère imposé. Avec le chômage structurel actuel et la concurrence des victimes des coupures et de la crise en général, un plus grand nombre est obligé d’accepter des occupations qui ne leur sied pas, tant du point de vue de la formation que du point de vue des conditions et de la rémunération. C’est là aussi qu’intervient la privation de choix. L’université ne permet plus forcément de trouver une voie, même les plus carriéristes en souffrent!

 

La répression sexuelle

Ce ne sont pas uniquement les étudiants qui en souffrent. La répression sexuelle ne s’arrête pas à ce qui entoure les pratiques communément désignées comme sexuelles. Son éventail est beaucoup plus large, et son action détermine jusqu’aux choix idéologiques. Ce ne sont pas les étudiants seulement qui la subissent, mais chez cette frange de la population, elle est plus facilement décelable puisque leur vie sexuelle est relativement plus récente. La répression s’opère simultanément suivant deux schémas distincts, la dépossession du corps qui résulte de tous les standards à atteindre pour espérer s’assurer une expérience sexuelle digne de ce nom, et qui se manifeste jusque dans la manière dont on se rase la moustache, et l’apologie de la prédation sexuelle qui transparait dans toutes les ressources utilisées pour la création du fantasme et dans l’essence de ce même fantasme. Cette entreprise force d’un côté à admettre les rapports de domination et à les reproduire et révulse l’énergie sexuelle générant par conséquent l’insatisfaction et la désillusion. L’apologie de la prédation sexuelle est particulièrement exacerbée en ce moment, le chant de ralliement des étudiants de l’Université de Sainte-Marie qui banalise le viol en est un exemple assez clair, mais ce n’est définitivement pas un isolat. Le milieu universitaire dans sa totalité en est souillé.

 

La misère intellectuelle

Si la passivité est une religion, l’ignorance est sa liturgie. L’université n’a plus rien d’universel, l’heure est d’abord à la spéciation (et non à la spécialisation) abrutissante. Le mot d’ordre que les thuriféraires des « géants » d’une industrie ou d’une autre, qui se réunissent dans des bureaux de gouverneurs par exemple ou occupent des postes importants dans les administrations et les ministères, s’empressent d’appliquer en toute intransigeance, c’est dépourvoir l’étudiant de tout savoir et ne lui inculquer que quelques méthodes qu’il se fera une joie de perpétuer pour payer ses factures, une fois qu’il contractera un emploi. Cette démarche cherche à abolir les connections nécessaires entre les différents domaines du savoir. Les méthodes les plus susceptibles d’éveiller le sens critique sont mises de côté au profit de ce que dicte «le marché » ou plus précisément de ce que dictent les barons du marché. Le culte de l’ignorance est généralisé. On se complait dans l’erreur et on s’attaque à l’effort de réflexion. La propagande pour l’ignorance est omniprésente sur les campus universitaires, dans l’aversion pour certaines disciplines, dans l’instauration d’un nivellement parle bas, dans l’obsession maladive pour les diplômes qu’on inculque aux étudiants et dans l’importance superflue qu’on accorde à la notation. Les facteurs produisant cette misère se démultiplient de sorte qu’on ne puisse pas les cerner aussi simplement. Il est à prévoir que cette misère s’approfondisse au cours de la crise actuelle, ce pourquoi il est moins important de tirer la sonnette d’alarme que de réfléchir une action effective qui permettrait de changer la donne.

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