Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique
Par Thelma Grundisch – Journaliste
Sorti le 9 septembre dernier sur Netflix, Derrière nos écrans de fumée est un documentaire glaçant qui tire la sonnette d’alarme concernant les réseaux sociaux et notre relation aux écrans. Ce qui a débuté par un simple projet de réseau universitaire créé par quelques geeks, s’est rapidement transformé lorsque le capitalisme s’est emparé de ces plateformes pour en faire de vrais monstres.
Les grands acteurs de l’industrie technologique actuelle, tels que Facebook, Google, Instagram, Snapchat, ou Twitter, sont au cœur du sujet. Certain.e.s de leurs ancien.ne.s employé.e.s y témoignent de la manipulation qu’exercent ces compagnies sur la société.
Conséquences incontrôlables
Un groupe de développeur.euse.s mené par Tristan Harris, ancien ingénieur chez Google, tente de faire son mea culpa en exposant l’emprise des réseaux sociaux sur notre quotidien, et la manière dont ils exercent avec une précision extrême leur contrôle. Si tou.te.s s’entendent sur le fait que ces réseaux ont révolutionné le monde, ils.elles se disent aujourd’hui dépassé.e.s par leurs créations. Les algorithmes sont autonomes et s’améliorent tous les jours ; les humains ont presque perdu le contrôle sur ces systèmes et leur fonctionnement.
Les lanceur.ceuse.s d’alerte cherchent à réveiller la population hypnotisée par les écrans, afin qu’elle puisse se protéger au mieux. Les personnes vulnérables, comme les enfants et adolescent.e.s, sont les plus touché.e.s et les plus dépendant.e.s de ce phénomène. La génération Z est la première à avoir vécu avec les réseaux sociaux depuis le secondaire ; en a alors résulté une hausse colossale de l’anxiété et de la dépression, mais également du taux de suicide chez les jeunes.
À travers les réseaux sociaux, ces dernier.ère.s cherchent à être accepté.e.s et apprécié.e.s par les autres. Mais poussé à l’extrême, ce besoin d’être valorisé conduit à la dysmorphie Snapchat, qui incite certain.e.s adolescent.e.s à faire de la chirurgie esthétique pour ressembler à des filtres. Notre impératif biologique de recevoir de l’approbation et de la reconnaissance sociale est stimulé en permanence par les réseaux sociaux, au point de nous rendre dépendant.e.s de cette dose de dopamine, aussi appelée la molécule du plaisir.
Contenu sur mesure
Chacun.e reçoit un contenu personnalisé déterminé par les données récoltées sur lui.elle, à tel point que chaque personne vit dans sa propre réalité. D’après les expert.e.s interrogé.e.s dans le documentaire, cela crée une polarisation de la société qui peut conduire à la solitude, l’incivilité, mais aussi à la destruction de la démocratie, et donc du monde tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Cette manipulation a des répercussions non seulement sur le virtuel, mais aussi sur la réalité dans laquelle nous vivons. On le ressent dans l’actualité, avec la publication de fausses informations à propos de la COVID-19, qui pousse certain.e.s à croire que le virus n’existe pas, ou que les gens sont malades à cause des tours de réseau 5G.
Ces grandes entreprises exploitent donc les vulnérabilités psychologiques humaines afin de produire du revenu. Est-ce vraiment éthique ? S’agit-il de quelque chose que l’on devrait accepter sagement ?
Mise en scène critiquable
Le documentaire est cependant un show à l’américaine, qui joue sur le côté dramatique et apocalyptique de la situation, et ce dès les premières minutes. Il enchaîne des images effrayantes avec des bruits de fond pour attirer l’attention et faire appel aux émotions du spectateur.
L’aspect technologique peut-être compliqué à aborder, mais il s’équilibre ici avec la mise en scène en parallèle d’une famille fictive, qui présente les conséquences des écrans dans la réalité. L’adolescent.e est d’ailleurs présenté.e comme un pantin contrôlé.e par un algorithme à forme humaine, qui ne le.la connaît mieux que personne, et peut prévoir ses moindres mouvements. Ces personnages sont là pour qu’on s’y identifie et qu’on réagisse.
Mais l’aspect humain est trop minimisé à mon goût. On en oublie presque la responsabilité de celles et ceux qui ont créé ces systèmes, et on ne considère pas assez l’objectivité de l’humain, qui n’est pas seulement un acteur passif face aux intox et à la manipulation. Enfin, il faut souligner l’ironie de cette mise en garde contre les algorithmes, qui apprennent à nous connaître et à nous maintenir engagé.e.s sur des plateformes, alors que c’est le principe même de Netflix qui produit et diffuse le documentaire.
Mon téléphone étant presque greffé à ma main, je comprends la difficulté de tout laisser tomber et de se déconnecter. Mais ce documentaire nous confronte à une réalité trop souvent oubliée, et invite à prendre un certain recul sur nos habitudes de vie, et la dimension éthique des réseaux sociaux.