– Par Mademoiselle Fifi –
Triste créature que le Troll. Maladroit, vulgaire, d’une laideur repoussante, il infeste les bois sacrés du bon goût. La littérature regorge de héros ou d’héroïnes prêts à défendre l’intérêt du peuple, à protéger les innocents, à abattre le Troll. Pauvre monstre qui ne voulait que méditer sur son âge (Kittelsen).
Difficile de ne pas revenir sur les évènements insignifiants qui semblent avoir profondément traumatisé nos mœurs. À cette mauvaise comédie, on a imposé une sinistre orgie de discours regroupant images, pancartes, lettres ouvertes, pétitions, etc. ; moins pudiques, certains professeurs ont même jugé utile de se pencher bien bas sur la question. Quels assauts à mes yeux non consentants!
On pense que je me moque. Détrompez-vous, je ne me moque jamais. L’heure est grave misérable lecteur, notre ère baigne en pleine décadence, et je suis surpris qu’on n’ait pas associé ces premiers signes à une quelconque pensée apoplectique dont les plus incrédules se montrent souvent friands. Ne lit-on pas chez un prophète : « Et il lui fut donné une bouche qui proférait des paroles arrogantes et des blasphèmes. » (Apocalypse 13, 13.5)
On pense que je ris. Détrompez-vous, je ne ris jamais. Il y a eu insulte et diffamation, pire, il y a eu reprise d’un discours dégradant, grossier, certainement inacceptable pour les parangons de vertu que nous prétendons être (au sceptique : une miette reste une miette). Les coupables paieront. Mais comment trouver une peine digne d’un tel crime (le mot est sévère mais juste), comment rassasier cette soif inextinguible de rétribution qui me fait frémit d’impatience? Ô, Texas, chef-d’œuvre de justice… Depuis quand une justice suit-elle les instincts de ses victimes?
On pense que je divague. Détrompez-vous, je ne divague jamais. L’ode au Texas, comme presque tout le texte (je le précise, car le lecteur est rarement futé et l’écrivain adroit), verse quelques fois dans l’ironie et le sarcasme, ce qui n’est pas non plus une piètre tentative de normaliser le phénomène. Anne-Marie Roy, martyre à faire envier les Saints, évoque avec discernement une des nombreuses facettes du problème : comment des étudiants éduqués peuvent-ils être aussi cons (je verbalise prosaïquement ce verbe subtil)? Relisant un autre de ses jugements implacables tiré de son entrevue accordée à La Rotonde la semaine dernière : « Tout le monde contribue à la culture du viol », et à la lumière de la phrase précédente, j’ai constaté que c’était avec une légitimité toute fondée, en tant que présidente démocratiquement élue à la FÉUO, qu’elle répondait à la question. Interrogation futile (comme vous et moi) : « étudiant éduqué », n’est-ce pas là un oxymoron? Oui, et je vous laisse en déduire toutes les conséquences (indice : nous apprenons toute notre vie).
Mais je veux revenir sur les paroles profanes qui ont créé tant de remous. Quel manque de poésie! Quel affreux sens du comique! Et puis quelle honte. J’entérine tout ce que j’ai lu sur le sujet (rien) et qui s’apparente à une condamnation sans règle. Car toutes ces attaques étaient infondées.
Mais déambulant indigné dans le campus, j’ai vu l’itinérant fier dans sa misère et les vestiges d’une élection reposant sur le harcèlement visuel; j’ai vu rouler des plateaux bondés de futures ordures se diriger vers de multiples réceptions; j’ai vu s’abrutir d’ennui des milliers d’élèves; j’ai vu se farder des poupées et s’extasier de leur corps des Narcisses; j’ai vu l’angoisse des ambitieux, la solitude des rats de bibliothèque; et j’ai vu la mélancolie du Troll. Pourtant ces faits culturels ne suscitent ni indignation, ni condamnation, ni pétition. Fainéantise ou hypocrisie? Aveuglement simplement.