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Arts et culture

Critique poésie : Comptine à rebours

– Par Didier Pilon –

La poésie est un étrange phénomène. Comme la peinture ou la musique, elle construit en image ce qui échappe au langage. Toutefois, elle le fait avec des mots.

S’inscrivant au cœur de cette définition (volontairement simpliste) de la poésie, le nouveau recueil de Sonia Lamontagne, Comptine à rebours, est difficile à décrire sans avoir à sombrer soi-même dans la poétique.

Certes, l’on peut s’attarder au style, ce langage familier si bien décoré de quelques jargons qui percent la grisaille. Lamontagne excelle à peindre des tableaux de ses mots, commençant par le concret (lieux, personnages, interactions, situations) avant de creuser dans l’abstrait, soit cette vie intérieure qui habite et anime la scène. L’intransitif transite, l’adjectif se conjugue et les mots acquièrent de nouveaux sens afin de pousser les limites de l’exprimable.

L’intimité des expériences trahit la narration à la troisième personne, symbole d’un vivre à distance de soi. Le brouillard interpersonnel pèse et isole tout au long du recueil, mais la narration ne s’engloutit jamais dans des solutions faciles ou moralisatrices. Elle-même prise au piège, la protagoniste se retrouve à négocier avec le fardeau de la solution habituelle, l’Amour, sans pour autant y retrouver la terre promise, cet Éden de reconnaissance existentielle.

La discontinuité du personnage, qui change du point de vue d’une jeune fille – parfois enfant, parfois adolescente – à celui d’une jeune femme, explore à la fois le charme et l’inconfort de la jeunesse face au désenchantement tiède de la bureaucratie journalière. Ainsi le corps de femme qu’elle a pourtant souhaité s’impose maintenant bien autrement qu’anticipé. Les cavaliers modelés à l’image de contes de fées et d’acteurs américains doivent laisser place aux silences gênants des premières rencontres.

Les images d’yeux qui reviennent sont barbouillées d’un mascara qui décore, mais qui brouille aussi le regard et masque les sentiments. La musique donne cadence à une vie où les cigarettes s’insèrent en soupir. Toutefois, l’inventaire des figures de style et des images n’arrive guère à partager l’expérience de lecture. Comptine à rebours est une collection de scènes en images dans laquelle on se retrouve, miroité dans l’expérience d’un autre. Là peut-être se situe l’ironie de la chose : c’est dans ce brouillard partagé qu’on se découvre.

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