Critique de livre : Fuir avec le feu de Daniel Castillo Durante
– Par Frédéric Lanouette –
Le lecteur et l’Autre apprennent à se rapprocher dans ce recueil de nouvelles offrant un portrait intime du laid et du honteux.
Le feu.
D’une manière symbolique, c’est par cet élément que tout débuta. Alors que la soupe originelle qui forma le cosmos tremblotait encore, il ne devait pas y avoir de feu dans la forme où nous l’entendons aujourd’hui. Pour tout créer, il a fallu tout détruire. C’est le Big Bang qui a mis le feu aux poudres de l’Évolution.
Daniel Castillo Durante, dans son recueil de nouvelles Fuir avec le feu, jongle avec plusieurs tissons qui pourraient bien raser toute la société. Ce ne sont pas les images d’inceste, comme celles retrouvées dans la nouvelle « Le pardon du bout du monde », ou celles de meurtre, comme dans « Délit de fuite », qui choquent. Plutôt, c’est la rencontre de l’Autre, présenté dans « Le fugitif »; le face à face brutal avec la réalité de l’exotisme soulevé dans « D’un océan à l’autre », « La casita de Punta Uva » et « La déprise »; et la vie sans masque de celui qui nous est étranger ou qui l’est devenu, thème commun des récits « L’invitée », « L’agonie sans escale qui choque » et « Guide pour parler à un enfant après la chute ». C’est laid et ça fait mal.
La beauté a toutefois sa place dans le monde dépravé que nous présente l’auteur, mais pas au travers des lunettes du narrateur normalisant qui voit tout de l’extérieur. Sauf pour les nouvelles « Homme regardant vers l’ouest dans un stationnement » et « Mort s’écrit avec le M de Manille », les narrateurs que nous offre Durante observent de la marge, détenant une grande capacité d’agir et de communiquer le vrai. La vision d’un père qui doit se cacher pour aimer sa fille (« Bernard et ses masques »), celle d’un riche homme d’affaires qui a floué tous ses clients (« Le repos du pirate ») ou encore celle d’un enfant d’un monde d’adulte (« D’un océan à l’autre »), offre au lecteur des points de vue qui ne se perdent pas dans la dialectique étouffante voulant que tout ce qui est Autre ne puisse être soi.
Le recueil, plus accessible au grand public que les œuvres théoriques et de fiction de l’auteur, peut se lire par chapitre ou d’un trait. Le lecteur gagne à lire avec attention, en gardant près de soi un moteur de recherche pour retrouver tous ces lieux mentionnés ici et là, pour voir Buenos Aires, Montevideo et Manilla de ses propres yeux, après les avoir vus brûler dans les yeux d’un autre.